Un texte fondamental (in Les Cahiers de Verkhnéouralsk, Les bons caractères, pp. 163-206, 2021).

Estimant nécessaire de fixer organisationnellement les points de vue sur les événements de portée historique mondiale qui se déroulent en Allemagne, les partisans de la revue Le Bolchevik-léniniste[2] soumettent les thèses qui suivent. En publiant ces thèses, la rédaction de la revue Le Bolchevik-léniniste appelle tous les bolcheviks-léninistes de l’isolateur à les discuter et à faire savoir ce qu’ils en pensent. La rédaction du B-L.

1 – Le coup d’État contre-révolutionnaire qui a lieu en Allemagne, la contre-révolution de mars, est un événement de la plus haute importance historique.

La guerre impérialiste mondiale n’a pas résolu les contradictions de la société capitaliste. Au contraire, elle les a aiguisées de façon extraordinaire, les a approfondies et portées à un niveau supérieur.

La croissance économique de l’après-guerre (1920-1929) ne s’est pas produite sur la base d’un élargissement du marché mondial. Cette croissance se fondait plus ou moins sur le rétablissement d’une demande normale, sur la réalisation d’importants investissements dans des régions dévastées par la guerre et sur l’exigence d’énormes investissements afin de reconstruire l’industrie, en particulier aux États-Unis et en Allemagne.

Alors que l’appareil de production des États-Unis, de l’Allemagne, d’autres pays capitalistes et de leurs colonies s’accroissait de façon gigantesque, le caractère limité des marchés mondiaux et, conséquence de la révolution d’Octobre, l’accès significativement restreint que les pays capitalistes avaient au marché soviétique ont rendu la croissance économique d’après-guerre relative et illusoire. Durant toutes les années de l’essor économique qui a suivi la guerre, l’ensemble de la production mondiale n’a pas dépassé son niveau d’avant-guerre, si l’on se réfère à la production par habitant et non à son volume absolu.

La croissance économique elle-même ne se produisit pas d’une façon régulière dans tous les pays. En raison des distorsions infligées à la société de l’après-guerre, l’économie des États-Unis a crû en réduisant la place des produits et capitaux européens, alors que la croissance économique de l’Allemagne, qui la plaçait en deuxième position après les États-Unis en termes d’exportation de marchandises, s’est principalement effectuée au détriment de l’Angleterre.

Cette stagnation des forces productives de la société capitaliste a eu aussi pour résultat que la stabilisation d’après-guerre a été relative, fragile et de courte durée. De ce fait, la question de la guerre des impérialistes entre eux et contre l’URSS, pour un nouveau repartage des marchés, de même que la question de la révolution prolétarienne se présentaient donc toujours (et se présentent aussi maintenant) comme des problèmes qui devront se résoudre non pas à l’échéance de lointaines décennies, mais dans les années, les mois, les jours à venir.

Pacifiée et stabilisée avec l’aide des capitaux américains, l’Europe d’après-guerre, avec en son centre une Allemagne soumise au traité de Versailles[3] et au plan Young[4], se trouve en fait tributaire des États-Unis. Ce tribut, l’Allemagne en a acquitté la part du lion jusqu’en 1932, non seulement pour elle, mais pour toute l’Europe. Et donc cette énorme charge pesant sur les épaules de sa population travailleuse a transformé l’Allemagne en une immense poudrière que ferait exploser, tôt ou tard, un mécontentement populaire massif – qu’il se manifeste en une révolution prolétarienne ou en une vague boulangiste[5]-fasciste[6] de nationalisme et de chauvinisme parmi les masses, c’est-à-dire sous une forme révolutionnaire ou contre-révolutionnaire – et la guerre. C’est précisément ce que le camarade Trotsky avait en vue quand il indiquait, déjà en 1926, qu’en œuvrant à faire de l’Europe un dominion d’un nouveau type l’Amérique pourrait rapidement se heurter à la « résistance des peuples », ou à la révolution ou à la guerre[7]. Une explosion nationaliste ou révolutionnaire des masses en Allemagne, le maillon le plus crucial et le plus instable du capitalisme, signifierait qu’à un moment donné de l’histoire le travail de l’Amérique pour transformer l’Europe, et en premier lieu l’Allemagne, en un dominion d’un genre original a rencontré la résistance des masses populaires. Une telle explosion signifierait l’effondrement de l’équilibre européen, l’écroulement du réformisme européen et de la social-démocratie qui, en tant qu’ombre portée du capital américain, se mettrait à perdre rapidement le reste de son influence et quitterait la scène lors de l’effondrement de l’équilibre en Europe. Auquel cas, l’une ou l’autre des forces qui se situent aux pôles opposés de la société capitaliste occuperait la scène de l’histoire : le fascisme ou le communisme.

2 – La crise économique mondiale a profondément ébranlé les fondements de la société capitaliste. Même un Léviathan impérialiste[8] comme les États-Unis tressaille sous ses coups.

Avant la crise, le capitalisme allemand maintenait son équilibre en absorbant des capitaux étrangers en permanence et en s’accroissant de façon considérable, au prix d’une tension exacerbée de toutes les forces du pays et de l’exportation des produits de son industrie. Durant les années de conjoncture ascendante, et avec l’aide de la social-démocratie, cela lui permit jusqu’à un certain point de satisfaire les besoins des masses et d’amortir leurs accès de mécontement politique.

Jusqu’à la dernière crise mondiale, la bourgeoisie allemande a rationalisé, concentré et élargi son appareil de production.

Au cours des quinze dernières années, les entreprises de ses industries chimique et métallurgique ont fortement resserré leurs rangs, soit en fusionnant plusieurs sociétés en une seule, soit en mutualisant les bénéfices par la création de « groupements d’intérêts » (par exemple, l’Union des intérêts des usines de peinture, la Société par actions des aciéries unies). Malgré les entraves de Versailles, l’appareil productif et les capacités productives du capitalisme germanique ont atteint un très haut niveau, si on le compare à celui d’avant la guerre.

C’est principalement grâce à des emprunts à l’étranger que cette gigantesque réorganisation technique et structurelle a pu s’accomplir. L’Autriche a suivi à peu près la même voie, bien sûr à l’échelle de ce pays et avec cette réserve que le gouvernement autrichien, à la différence de son homologue allemand, n’a presque pas d’indépendance dans la gestion du pays, placé qu’il se trouve à cet égard sous l’aile et le contrôle de la Société des nations[9].

Une part importante des capitaux qui irriguent l’économie allemande se compose aussi de prêts étrangers, en outre à court terme. Il y avait 9 à 10 milliards de capitaux américains, néerlandais, anglais et suisses sur les quelque 25 milliards de ce capital circulant en 1931. La crise économique qui se prolonge a sapé la faculté d’exporter qu’avait l’Allemagne et même, par suite, toute son économie, qu’épuisaient déjà sans cela les énormes traites qu’il fallait régler au titre du plan Dawes-Young. S’ajoutant au fait que l’Allemagne exportait habituellement des capitaux (près de 9 milliards de marks de 1925 à 1932), les capitaux étrangers ont commencé à déserter l’Allemagne durant la crise : environ 4 à 5 milliards de marks jusqu’à la fin de 1932. Et à partir de 1931 s’amorce une sortie, une fuite panique des capitaux allemands vers l’étranger. On avait là le fruit de l’instabilité de la situation politique interne autant que de la crise mondiale du crédit et de l’effondrement de l’étalon-or[10] en Angleterre, vers où, en réponse aux chocs monétaires et aux changements de politique douanière (tarifs préférentiels pour les dominions et taxation douanière discriminatoire pour les pays capitalistes concurrents et pour l’URSS), on avait commencé à transférer en totalité de nombreuses entreprises industrielles allemandes.

La contraction des marchés mondiaux et intérieur, la fuite des capitaux, la crise du crédit, la fermeture d’entreprises, le chômage et l’appauvrissement des masses, la ruine de la petite bourgeoisie urbaine et de la paysannerie – tout cela survenait coup sur coup, ce qui donna naissance aux décrets d’urgence de Brüning[11], qui se relayaient eux aussi dans un seul but : sauver l’Allemagne capitaliste de la catastrophe en écrasant d’impôts les masses, tout en préservant les bases du régime politique d’une large démocratie bourgeoise.

L’équilibre politique intérieur commença à se rompre. Vu que l’Amérique n’aurait pas les forces d’« aider » l’Allemagne à l’avenir, la perte de la guerre et le traité de Versailles se présentèrent de plus en plus distinctement dans la conscience des masses comme les causes de la catastrophe. Les jeunes générations, qui n’avaient pas personnellement vécu les horreurs de la guerre, se mirent à tourner leur réflexion et leur volonté vers l’abrogation du traité de Versailles et la fin de l’assujettissement à la France (les masses ne distinguent pas le rôle de l’Amérique, car elle perçoit les réparations de l’Allemagne non pas en direct, mais par l’intermédiaire de la France). Habilement orientée vers son cours fasciste par le capital monopoliste allemand, une vague nationaliste et chauvine commença à monter dans la petite bourgeoisie. Ce qu’à cause des dérives de la direction communiste en 1932 la révolution prolétarienne n’a jusqu’alors pu réaliser – la libération nationale de l’Allemagne –, la petite bourgeoisie le tente par la voie de la contre-révolution.

3 – Les impérialismes français, britannique, américain n’avaient qu’un seul moyen de préserver l’équilibre interne de Weimar[12] et de Versailles en Allemagne et en Europe : annuler ou reporter la dette de l’Allemagne et lui consentir de nouveaux crédits. La première partie de la tâche a été presque achevée : on a ajourné et annulé les réparations sous certaines conditions. Mais cela se révéla insuffisant et ne put infléchir le cours des processus qui taraudaient le pays. Il restait un dernier moyen : accorder à l’Allemagne de nouveaux prêts pour relancer son industrie. Mais lui octroyer de tels crédits signifiait que sa production allait augmenter. Et comment résoudre la question de savoir où écouler les marchandises allemandes, alors que la crise s’aggrave dans le monde entier ? En outre, vu la conjoncture, la perspective de renforcer l’industrie allemande, en accroissant sa part du marché mondial, pouvait moins que jamais réjouir les experts anglais, français et américains[13]. De surcroît, quel sens aurait eu de confier de nouveaux capitaux à l’Allemagne, alors que la bourgeoisie allemande elle-même ne croit pas à la stabilité de la situation politique en Allemagne et se précipite pour faire franchir les frontières à ses propres capitaux ? Et il s’ajoute à cela qu’en pareille situation on ne peut renforcer le capitalisme allemand sans renforcer en même temps son aspiration à rompre le traité de Versailles.

Néanmoins, une telle tentative a bien eu lieu. Car s’appuyer sur un gouvernement accommodant des partis centristes, dans le but de sauver et de conserver les colonies de l’Allemagne ainsi que les territoires dont on l’avait dépouillée en Europe, cela aurait eu un coût bien moindre que d’en passer par une nouvelle guerre. Et en 1931 la France a essayé, avec l’Angleterre et les États-Unis, d’accorder un prêt à long terme de 500 millions de dollars à l’Allemagne, mais à la condition d’y mettre en place un contrôle douanier, un contrôle financier de ses emprunts et dépenses, et d’imposer à l’Allemagne qu’elle n’exige aucune modification des traités de paix en sa faveur pendant dix ans : en d’autres termes, à la condition que l’Allemagne laisse les « grandes puissances » la transformer en un pays comme la Chine ou l’Autriche.

Il est tout à fait clair qu’en acceptant ces conditions le gouvernement Brüning aurait donné un formidable coup d’accélérateur au coup d’État fasciste. Cette proposition fut rejetée. Mais l’Allemagne a quand même continué d’aller vers le fascisme avec des bottes de sept lieues, car il manquait aux communistes la direction dont ils avaient besoin.

4 – Ce qui créait les conditions d’une montée impétueuse du fascisme dans les esprits, c’était donc l’impasse économique dans laquelle la situation du capitalisme d’après-guerre avait conduit l’Allemagne, la crise économique profonde et le système de Versailles, dans un contexte de faiblesse de l’avant-garde prolétarienne. Et cette croissance tumultueuse du fascisme a aggravé, à son tour, le chaos économique, ce qui ne permettait plus aux Bourses mondiales d’envoyer des capitaux à la rescousse de l’économie allemande. Un cercle vicieux, d’où on ne pourrait sortir « normalement », se referma. On s’acheminait vers une explosion de l’équilibre de l’après-guerre et, en premier lieu, de la coquille politique de Weimar, qu’allaient provoquer les grandes masses du « peuple » sous la direction du capital financier.

La contre-révolution de mars constitue précisément la rupture du premier maillon du système de Versailles. C’est bien pourquoi le coup d’État fasciste a été accueilli avec tant de haine par la bourgeoisie des pays vainqueurs et avec tant d’espoir et de ravissement par celle des pays sortis vaincus de la guerre impérialiste ou insatisfaits de son issue. De là également les sympathies inattendues de la bourgeoisie des pays vainqueurs pour les ouvriers et même les communistes d’Allemagne, dont elle tente d’utiliser la lutte contre le fascisme pour consolider les systèmes indissociables de Versailles et de Weimar. Et il est aussi aisé de comprendre l’aspiration des gouvernements fascistes hongrois et allemand à aider la bourgeoisie autrichienne à fasciser son pays.

5 – En fin de compte, la contre-révolution de mars signifie la liquidation des vestiges de la révolution du 9 novembre [1918][14] et du système de Weimar. Mais cela signifie-t-il aussi en même temps le retour au pouvoir des forces sociales et politiques qui gouvernaient l’Allemagne avant la révolution de Novembre, autrement dit une restauration au sens propre et concret ?

Le régime fasciste en Allemagne, indépendamment de la forme de gouvernement (l’Allemagne sera-t-elle une monarchie fasciste ou une république fasciste ?), est un régime de terreur fasciste et non pas une renaissance de la réaction bismarckienne[15]. Il représente la domination de la partie la plus importante et la plus agressive du puissant capitalisme monopoliste allemand, des sommets du capital industriel et bancaire que soutient même plus ou moins le grand capital agraire, mais non pas la domination des junkers[16], que soutenait plus ou moins le capital industriel et bancaire avant la révolution.

Que représentait le régime en Allemagne avant Novembre ? En utilisant une formulation brève et concise de Trotsky, on pourrait dire :

L’Allemagne était un pays sans tradition révolutionnaire jusqu’au 9 novembre. La bourgeoisie y arriva trop tard pour concurrencer sérieusement les forces de la vieille société. Après la modeste expérience de 1848[17], elle confia à Bismarck la tâche d’unifier la patrie, avec l’aide de l’armée prussienne. On fit appel aux junkers, de purs féodaux, pour qu’ils résolvent les tâches que posait le développement du capitalisme et pour qu’ils prennent en main toutes les ressources de la société bourgeoise. Après les guerres de 1864[18]-1866[19]-1870[20], les féodaux des régions situées à l’est de l’Elbe passèrent d’une selle prussienne à un modèle impérial de selle. La bourgeoisie libérale ne transgressa pas les frontières d’une opposition « responsable », ayant une fois pour toutes dévolu aux junkers le soin de mettre de l’ordre dans la société capitaliste et de gérer cet ordre par la force des armes. Enfin, lorsque du fait du développement du capitalisme la bourgeoisie allemande se retrouva devoir résoudre de nouvelles tâches, cette fois de caractère mondial, elle confia comme toujours à la caste des junkers, regroupée autour de la monarchie, le soin de mener une nation en armes.

L’organisation militaire de l’Allemagne correspondait pleinement au régime politique de l’État allemand d’avant la révolution. L’une et l’autre pris ensemble formaient une tour féodale qui se dressait sur des fondations capitalistes.

La révolution de Novembre a radicalement changé les rôles des groupes sociaux dominants : la « tour féodale » se trouva politiquement détruite, l’exercice concret du pouvoir passa aux mains de toute la bourgeoisie en tant que classe, la bourgeoisie libérale se transforma d’opposition « responsable » en maître exerçant directement le pouvoir, et la caste des junkers, qui maintenait totalement sa position économique, devint l’opposition « responsable ». Un régime de large démocratie bourgeoise, appuyée directement ou indirectement sur les réformistes, se mit en place en Allemagne.

Le coup d’État fasciste ne modifie pas le caractère de classe ou la nature sociale du système. Il signifie seulement que le pouvoir se concentre, totalement et sans intermédiaires, entre les mains d’une étroite couche dirigeante de la bourgeoisie industrielle et financière. La démocratie bourgeoise allemande, si vaste qu’on ne pouvait la comparer qu’au système néozélandais ou australien, subit une mise en pièces implacable. En combinaison avec les objectifs nationaux et internationaux du fascisme, on instaure un régime de terreur blanche, au regard duquel la réaction bismarckienne semble une vétille, elle qui, si l’on considère tout le temps où la loi sur les socialistes[21] s’appliqua, expulsa 900 personnes des régions placées en état de siège[22] et en emprisonna 1 500 pour une peine totale d’environ 1 000 ans (8 mois par personne en moyenne).

6 – La victoire du fascisme allemand marque la fin de l’ère du pacifisme démocratique d’après-guerre et porte un coup dur, peut-être fatal, à la démocratie bourgeoise en tant que forme de domination bourgeoise la plus répandue dans les pays clés du capitalisme.

La réaction terroriste, le fascisme, apparaît au premier plan de la scène historique, peut-être pour de longues années.

À la lumière des événements de grande ampleur qui se déroulent en Allemagne, les communistes révolutionnaires se doivent de réfléchir et de donner un sens à ce que ce tournant radical de l’histoire apporte de nouveau dans les problèmes les plus importants du monde. Quel sort attend à brève échéance le capitalisme et le mouvement communiste mondial ? Quelles sont les perspectives et les délais de la révolution prolétarienne en Europe ? Quelles sont les perspectives immédiates pour l’URSS et les problèmes que cela pose ? Quelles tâches cela pose-t-il à l’organisation internationale des bolcheviks-léninistes[23] dans l’immédiat ? À toutes ces questions, il nous faut sans attendre donner une réponse, fût-ce sous la forme la plus schématique et la plus générale.

7 – La contre-révolution de mars se fonde sur le croisement et l’imbrication des facteurs objectifs suivants :

a) Le désir croissant qu’ont les cercles dirigeants du capitalisme monopoliste de renforcer la réaction et de liquider progressivement la démocratie bourgeoise, un désir lié au fait que les monopoles capitalistes évincent la libre concurrence ;

b) L’aspiration des classes dominantes à la réaction comme moyen de résister à la radicalisation révolutionnaire des masses, aspiration qui est le produit de la crise historique de l’ensemble du système capitaliste et des secousses révolutionnaires qu’il a subies après la guerre ;

c) La fin du pacifisme démocratique des masses et de leurs illusions quant à la démocratie bourgeoise. La faillite définitive du foyer du réformisme mondial, la social-démocratie allemande, en liaison avec l’arrêt de l’afflux des capitaux américains en Allemagne ;

d) L’énorme déception que le régime du parlementarisme démocratique bourgeois a suscitée parmi les masses d’Allemagne, car le régime de Weimar se révélait impuissant à les sauver de la faim, de la misère et de la ruine, tandis que les coups de la crise économique mondiale ébranlaient toute la vie économique nationale ;

e) L’abandon des communistes par les ouvriers organisés et par la petite bourgeoisie travailleuse, déçus par les résultats du « socialisme » stalinien et par l’incapacité à parvenir un jour au pouvoir dont a fait preuve la direction opportuniste du Parti communiste allemand ;

f) L’évolution chauvine de la petite bourgeoisie, du lumpen-prolétariat et de certaines couches du prolétariat, que le traité de Versailles pousse en ce sens, en raison du fardeau dont il accable les épaules des travailleurs ;

g) L’impossibilité pour la bourgeoisie allemande de continuer à tenir en main le pouvoir par les méthodes et dans le cadre du système pourri de Weimar, tout en conservant les bases du traité de Versailles.

C’est sur la base de tout cela précisément qu’a crû avec force le fascisme allemand, une montée en puissance qui trouve son aboutissement dans le coup d’État, après presque huit mois de crise politique.

Le problème (dilemme ?) formulé par Trotsky dès 1922 – aller vers le communisme ou vers le fascisme – se résout maintenant, en Allemagne, au profit du terme fasciste de l’alternative. Cette cruelle vérité, il faut l’examiner dans son entièreté, afin de ne pas perdre notre boussole marxiste et de comprendre les tâches qui nous attendent.

8 – Le fascisme allemand ne « s’implante » pas dans la république de Weimar, il ne se dissout pas en elle, ne s’adapte pas « au cadre et aux formes de la démocratie bourgeoise », il les démolit et les envoie au rebut par un coup d’État réalisé en alliance avec les junkers du parti « national », que dirige le président de la République[24].

La contre-révolution avait programmé de porter le coup décisif à la classe ouvrière au début de 1933, ce qui ne devait rien au hasard. La vague de la contre-révolution avait déjà atteint son paroxysme parmi les masses à la fin de l’année précédente. Puis, les masses ont commencé à se détourner des fascistes, l’électorat communiste se mettant à croître de façon continue. Si la réaction avait à nouveau tardé à lancer la contre-révolution, le risque existait que s’intensifie ce reflux, alors qu’il était déjà amorcé parmi les masses que la lenteur du fascisme décevait de la contre-révolution, et il y avait le risque aussi que se renforce le processus de radicalisation qui avait débuté. Le régime de Weimar ne pouvait y opposer aucun obstacle décisif. La seule chose pouvant sérieusement faire obstacle au prolétariat, et à la petite bourgeoisie qui le suivait, dans leur tentative de renverser l’État de Weimar, n’aurait pu être, l’expérience de 1932 l’a montré, que la stupidité et la bêtise (ou l’opportunisme) de la direction communiste. Les milieux dirigeants de l’impérialisme allemand se trouvaient face à un choix : réaliser un coup d’État contre-révolutionnaire, au moment le plus favorable pour eux de ces quatorze dernières années, ou bien prendre le risque de laisser passer cette chance et de se retrouver dans un an ou deux, sinon plus tôt, avec une nouvelle année 1923[25]. Ainsi se posait la question fin 1932.

Cette situation conforta les cercles dirigeants du capitalisme monopoliste en Allemagne dans l’idée qu’il leur fallait sans tarder réaliser la tâche suivante : porter le coup décisif à la classe ouvrière et à la « révolution inachevée »[26] du 9 novembre 1918. Seuls les aveugles ou ceux qui ne veulent pas voir pouvaient ignorer cette réalité d’une clarté exceptionnelle. Elle imposait aux communistes de s’engager avec fièvre dans des préparatifs énergiques et intensifs afin d’empêcher le coup d’État et de rattraper le retard pris les années précédentes ; de créer immédiatement un front unique ouvrier antifasciste ; de préparer tout de suite une grève générale ; d’armer sans délai les ouvriers ; de déclarer largement sur-le-champ leur résolution et leur détermination à repousser par tous les moyens et de toutes leurs forces les premières tentatives de coup d’État contre-révolutionnaire.

9 – Les forces motrices de la contre-révolution de mars sont les cercles les plus réactionnaires et les plus chauvins du capitalisme monopoliste en Allemagne, de l’impérialisme allemand qui, à travers son parti fasciste, a transformé en un soutien social la petite bourgeoisie et les travailleurs déclassés. Ce conglomérat social est uni par la haine de la république de Weimar et du communisme, par la haine des partis qui ont dirigé l’Allemagne de Weimar et conclu la paix à Versailles, par le désir de briser par n’importe quel moyen les chaînes de Versailles et de ressusciter un « empire allemand » puissant.

Le Parti des nationalistes (celui principalement des grands propriétaires terriens et seulement en second lieu des grands industriels) et le Parti national-socialiste (celui des grands industriels principalement, sinon plus spécialement, en termes d’objectifs et de tâches qu’il se fixe, mais pas en termes de composition sociale) sont unis par un programme concret d’exploitation du prolétariat et d’agression extérieure, de création d’un empire puissant qui rejetterait les chaînes de Versailles, ne serait-ce que sur l’URSS. Ils sont séparés principalement par la question de la forme future de l’État. Les nationaux-socialistes aspirent à instaurer la dictature de leur parti selon le modèle italien, à établir une domination politique du capital industriel ; les nationalistes aspirent à restaurer la monarchie ou à créer une république conservatrice et, dans les deux cas, à rétablir le rôle politique qu’avaient avant-guerre les grands propriétaires nobles.

Malgré toutes les divergences politiques entre ces deux partis, et même lorsqu’elles prennent des formes aiguës, il est nécessaire de garder à l’esprit leur exceptionnelle parenté sociale et génétique. Le Parti national-socialiste (NSDAP, Parti ouvrier national-socialiste allemand[27]) est issu du parti uni d’avant, il n’en a pas scissionné nationalement et, avec son programme prévu pour appâter le petit bourgeois et l’ouvrier déclassé, il formule leur mécontentement dans un sens réactionnaire, ce qui les transforme en instruments des magnats du capital financier.

Ce programme « radical », pris au pied de la lettre, a même conduit quelques oppositionnels[28] à voir dans le fascisme un mouvement de gauche radical, une évaluation erronée, source à son tour d’erreurs théoriques et tactiques les plus graves dans les questions relatives à la situation allemande.

La petite bourgeoisie et les ouvriers déclassés attendent du coup d’État, auquel ils ont prêté la main, qu’il en coule des rivières de lait et de miel. Ils placent en lui leurs espoirs en un avenir meilleur. Ils croient en lui. Ils sont prêts, comme à l’époque de l’ivresse militaro-patriotique de 1914-1915, à mourir pour cet avenir. Bien sûr, après le coup d’État, le fascisme commencera à les décevoir. Mais le gouvernement fasciste se renforce et, dans ces conditions, ce qui freinera un certain temps la petite bourgeoisie dans son évolution vers la gauche, et qui compliquera la réalisation de son union dans l’action avec le prolétariat révolutionnaire, c’est ce nouvel appareil d’État aux moyens incomparablement plus puissants que celui de Weimar pour réprimer les masses.

10 – Il est difficile de déterminer avec précision l’équilibre actuel des forces de classe en Allemagne. Le coup d’État est toujours en cours et le rapport des forces change donc d’heure en heure. Une chose est certaine : c’est une classe ouvrière désorientée et divisée qui, avant le coup d’État et depuis, s’est trouvée confrontée et continue de l’être au front uni et consolidé de la réaction. Si le nombre et la conscience du prolétariat allemand ont forcé les groupes nationalistes à se préparer à un coup d’État pendant quatorze années entières, la facilité avec laquelle ils ont réussi à porter leurs premiers coups, d’habitude décisifs en pareil cas, résulte avant tout de la désorientation dans laquelle s’est retrouvée la classe ouvrière toutes ces dernières années, en particulier au moment le plus critique de la lutte. Alors que le prolétariat était fracturé en trois parties – social-démocrate, communiste et « chrétienne » –, personne ne l’a unifié, n’a tenté de l’unifier ni de le faire se dresser pour aller au combat, même face à l’imminence du coup d’État fasciste. Aucun de ces détachements de la classe ouvrière n’a essayé, même séparément, de s’opposer au coup d’État contre-révolutionnaire. En vertu de quoi, la contre-révolution n’a encore trouvé face à elle de résistance des ouvriers ni unie ni partielle.

Bien sûr, on ne pouvait attendre une résistance physique au fascisme de la part des partis antifascistes (ou non fascistes) purement bourgeois, tenants de Weimar : le Centre catholique[29] et le Parti d’État (ancien Parti démocrate)[30]. En effet, même un coup d’État fasciste classique, purement hitlérien, n’aurait pas porté atteinte à la propriété privée des magnats de l’industrie lourde, des catholiques ou de la bourgeoisie commerciale démocrate. La crainte que le nouveau régime mène des expériences capitalistes d’État et la menace de se voir écartés pour longtemps de la direction concrète du pays ne pouvaient et ne peuvent pousser à combattre le nouveau gouvernement sous quelque forme ou façon autre que par des votes au Parlement et des articles d’opposition dans la presse, en particulier s’agissant de partis n’ayant pas accès aux leviers de commande gouvernementaux.

Il faut utiliser la disposition à s’opposer à ces partis existant parmi les travailleurs qu’ils influencent, parmi les syndicats chrétiens et les syndicats Hirsch-Duncker[31], c’est-à-dire chez les travailleurs d’esprit démocratique, pour les détacher de ces mêmes partis. Avec ces travailleurs et afin qu’ils s’opposent au fascisme de façon active, les communistes pourraient s’en tenir au mot d’ordre de front unique ouvrier antifasciste. Mais cela n’a pas été fait. Et il y a plus, vu la totale inaction et la passivité de la direction communiste avant la nomination d’Hitler au poste de chancelier du Reich, au moment de sa nomination (30 janvier 1933), après sa nomination et même lors du coup d’État lui-même, on a, dans la continuité, laissé inemployée toute cette force des ouvriers d’esprit démocratique. Ils sont restés totalement sous la coupe du Centre et du Parti d’État, c’est-à-dire qu’ils sont restés des témoins passifs du coup d’État.

Le Centre et le Parti d’État constituent le parti de la bourgeoisie libérale. Ils sont antifascistes dans la mesure où la démocratie bourgeoise s’oppose à une autre forme d’État bourgeois, sa forme fasciste. Mais le régime de large démocratie bourgeoise, ce sont les ouvriers qui l’ont conquis de leurs mains, et non la bourgeoisie. Par conséquent, empêcher sa liquidation par les fascistes ne saurait être l’œuvre des bourgeois, même libéraux, mais seulement des ouvriers, qui peuvent user de ce régime comme d’un terrain de manœuvre utile au développement de la lutte pour leurs besoins quotidiens et l’établissement de leur dictature.

Le Centre ne vote pas directement pour le fascisme. Mais s’il s’avère que le coup d’État a pour résultat le plus immédiat non pas une forme classique, mais une variante tant soit peu atténuée de régime fasciste, disons un État semi-fasciste, alors le Centre le soutiendra sans nul doute et sans détour, tout comme il a soutenu en son temps la monarchie wilhelmienne[32].

Comme soutien du principal détachement de la contre-révolution, le national-socialisme, on trouve : une partie notable de l’appareil d’État central hérité de l’Empire, avec tout ou partie de la police ; un réseau en expansion rapide des appareils de l’administration locale et les autorités des landtags[33], des municipalités et autres communautés locales, dont les nationaux-socialistes se sont emparés par des coups de force locaux rondement menés ; des centaines de milliers de membres armés des troupes d’assaut [34] ; la masse gigantesque de la petite bourgeoisie, des fonctionnaires, des employés et des ouvriers arriérés ; enfin, la détermination et l’absence de pitié des nazis, leur allant et leur ténacité – autant de facteurs qui jouent un rôle énorme dans les rapports de force entre les classes.

Derrière le détachement nationaliste de la contre-révolution, on trouve : la partie décisive de l’appareil d’État central de l’Empire ; les cent mille soldats de la Reichswehr[35] ; une partie de la police et de la gendarmerie ; près de deux cent mille paramilitaires du Stahlhelm[36] ; l’essentiel du cadre des généraux et officiers de l’époque impériale ; la noblesse et les grands propriétaires terriens.

Un conflit ou une crise qui surgirait dans les rapports avec les nationaux-socialistes, en raison du choix de la forme du gouvernement de l’État, soumettrait la Reichswehr à de cruels déchirements ; mais les sociaux-démocrates peuvent se retrouver du côté des nationalistes car, à un régime totalement fasciste, ils préféreront une monarchie ou une république semi-fasciste comme « moindre mal ». Les dirigeants sociaux-démocrates, qui ne se trouvent pas sous le feu direct de la critique communiste, vont sans doute tenter d’échapper à la catastrophe en mettant en balance au compte de Hindenburg toute la base de masse qui leur reste, dès que (et si) il s’avère que Hindenburg se démarque de Hitler sur ce point de vue précis. On peinerait à préciser de façon tranchée et certaine sous quelles formes le coup d’État cristallisera à la prochaine étape – sera-t-il anti-Weimar de façon conservatrice ou aussitôt fasciste de manière achevée ? – car, pour l’heure, on ne distingue pas avec assez de netteté lequel des partenaires se trouve vraiment en situation hégémonique dans ce bloc.

Bien entendu, les deux variantes d’évolution possible à court terme représentent tout autant de dangers pour la classe ouvrière, car elles lui apporteront les mêmes malheurs et le même régime de terreur.

De façon inévitable, les frictions internes et la lutte entre les deux alliés vont se renforcer. Cette lutte peut même parfois prendre des formes très aiguës, car les contradictions au sein d’une même classe, entre le capital agraire et industriel, et les contradictions entre les aspirations de la petite bourgeoisie et les objectifs que se fixe l’oligarchie financière perceront au grand jour de façon de plus en plus brutale, et souvent sous des formes tout à fait inattendues. Mais il est peu probable que le bloc se disloque, sous l’effet explosif de ses contradictions internes, avant que se consolide le nouveau régime, car les buts et objectifs des partenaires coïncident de façon trop étroite. Si le prolétariat, représenté par le Parti communiste, devait et pouvait, et peut encore, utiliser les contradictions qui existent globalement dans le camp de la bourgeoisie entre sa partie fasciste et sa partie libérale-démocrate non fasciste, de ce point de vue il y a peu de contradictions au sein du bloc de Harzeburg[37]. Cela ne signifie certes pas que le prolétariat ne doit pas suivre avec vigilance toutes les péripéties de cette lutte et qu’il ne doit pas l’utiliser dans son intérêt.

La feuille de route concrète de la contre-révolution n’exclut pas la possibilité que, déjà au cours du coup d’État lui-même, les nazis prennent le pas sur les nationalistes, qu’ils auront repoussés définitivement au second plan. Mais il se peut aussi que la plénitude du pouvoir revienne aux fascistes par un coup d’État complémentaire, relativement pacifique, ou, solution la plus probable, par la fusion des deux partis en un seul, avec une dilution du Centre et des vestiges des autres partis bourgeois ; et il est indifférent que cela passe ou non par une phase de coalition avec ces derniers.

11 – La fin de l’Allemagne de Weimar et l’effondrement de l’équilibre européen signifient la mort de la social-démocratie allemande et le début de la fin pour le réformisme.

La contre-révolution de mars a porté un coup décisif à la social-démocratie allemande. La politique de coalition de la social-démocratie avec les partis bourgeois, sa théorie du passage pacifique et progressif au socialisme par transformation de la démocratie bourgeoise apparaissent comme ayant fait faillite, avec une clarté absolue et manifeste aux yeux des masses, dans le pays le plus classique de la démocratie bourgeoise. Sa politique et sa théorie ont engendré non le socialisme, mais le fascisme.

L’effondrement de la social-démocratie allemande est désormais inéluctable. Elle va s’écrouler de trois manières. Sa base ouvrière alimentera le communisme, représenté par un Parti communiste d’Allemagne régénéré, tandis que les maillons moyens et supérieurs de son appareil bureaucratique vont, pour partie, s’intégrer au fascisme et, pour partie, rejoindre la masse des philistins. Rien de ce que pourraient tenter les sociaux-démocrates « orthodoxes » pour sauver leur organisation par une adaptation semi-légale ou illégale à la situation ne pourra empêcher de telles évolutions.

La social-démocratie a fait faillite tant en politique qu’en théorie. En mars, les masses ont reçu une éclairante leçon de choses, sous une forme concentrée mais d’envergure historique. La réaction peut bien triompher aujourd’hui, l’effondrement de la social-démocratie est le début du triomphe décisif des idées du communisme et de la révolution prolétarienne dans de larges couches actives de ceux qui forment les cadres du prolétariat allemand. En termes historiques, l’effondrement de la social-démocratie allemande ne profitera pas au fascisme, mais au communisme.

La social-démocratie n’a pas opposé de résistance au coup d’État fasciste. La direction du Parti communiste d’Allemagne (KPD) a suivi la même tactique que la social-démocratie. Il en résulte une très grande victoire du fascisme, son « Octobre »[38] sans effusion de sang.

La non-résistance de la direction du KPD et de l’Internationale communiste (IC) au coup d’État fasciste n’est que le maillon décisif et final de cette chaîne de trahisons de la révolution mondiale qu’a forgée le stalinisme international tout au long des dernières années. La classe ouvrière d’Allemagne n’est pas encore brisée. Mais la trahison de ses chefs a paralysé sa combativité ; ses chefs se sont rendus au fascisme sans coup férir, sans tenter le moindre préparatif de riposte quand il en était encore temps, sans chercher à organiser la résistance du prolétariat lors du coup d’État.

Des milliers et des milliers de dirigeants, de cadres organisateurs et de militants de la classe ouvrière remplissent les prisons et les camps de concentration en Allemagne en tant qu’otages. Le fascisme enragé répondra, n’en doutons pas, à chaque grève, à chaque intervention armée des ouvriers par des exécutions ou par la menace d’exécution immédiate de ces cadres, ce qui renforce grandement tout ce qui paralyse l’activité militante du prolétariat dans la lutte contre la contre-révolution.

Devant la menace croissante d’un coup d’État fasciste, la direction révolutionnaire des communistes se devait de :

a) Consolider chaque jour le front uni antifasciste de la classe ouvrière ;

b) Préparer soigneusement une grève générale pour sa mise en œuvre immédiate en réponse à la tentative de coup d’État fasciste ;

c) Préparer soigneusement tout ce que l’on pouvait afin d’armer les ouvriers pour le moment où la contre-révolution agirait ;

d) Mobiliser les meilleures forces du mouvement communiste mondial pour venir en aide au prolétariat allemand ;

e) Mobiliser l’Armée rouge de l’URSS pour soutenir activement les actions antifascistes de la classe ouvrière d’Allemagne ;

f) Déclarer ouvertement et courageusement à l’opinion publique prolétarienne en Allemagne que, dans sa lutte héroïque contre le fascisme, elle n’est pas seule, que le prolétariat de l’URSS l’aidera à écraser la contre-révolution en déployant toutes les ressources de son pays, y compris ses forces armées, qui attendent cette heure historique, mobilisées en état de totale préparation au combat ; que le prolétariat russe remplira son devoir vis-à-vis de ses frères allemands avec la même détermination que les travailleurs allemands vis-à-vis de la Russie en 1918.

Ces obligations internationales, élémentaires pour des révolutionnaires, les dirigeants du KPD, du Komintern et tout le stalinisme international n’ont jamais essayé d’en préparer ni les conditions ni la réalisation. Ils ne les ont jamais remplies au moment le plus crucial et le plus critique de la situation, comme l’a indiqué en son temps l’opposition léniniste représentée par le camarade Trotsky.

De ce fait, le stalinisme international a préparé et rendu possible une gigantesque défaite mondiale du prolétariat. Il a ainsi parachevé sa trahison de la révolution mondiale. Il a ainsi rayé l’IC de la liste des facteurs révolutionnaires, après l’avoir transformée en un appendice, en une aile gauche de la social-démocratie.

Cette trahison capitale du stalinisme a porté un coup dévastateur au mouvement communiste mondial.

Mais la bureaucratie thermidorienne-bonapartiste n’a pas les moyens de porter un coup mortel au communisme. Et, régénéré sur de nouvelles bases en Allemagne, le mouvement communiste va bientôt se manifester en ouvrant à la classe ouvrière des voies nouvelles et plus larges. Ce que montreront clairement les batailles qui auront lieu contre le fascisme, et cela dans un avenir proche.

L’Allemagne de Weimar est morte. Ses bannières ne se lèveront plus au-dessus des mairies en Allemagne. Des évolutions vers la droite dans le rapport des forces de classe durant de nombreuses années, la montée du fascisme en trois ans, la faillite et la capitulation de la social-démocratie et de la direction de l’IC, tout cela a pris corps avec la contre-révolution victorieuse de mars.

Les bannières impériales et fascistes ne pourront être remplacées en Allemagne que par les drapeaux rouges de la révolution prolétarienne.

12 – Au fil des ans, l’opposition léniniste a observé avec inquiétude comment se développaient les événements en Allemagne, expliquant constamment l’ampleur qu’ils prenaient et leur très grande importance historique. Elle a constamment et sans relâche signalé quel danger, pour l’ensemble du mouvement ouvrier mondial, mûrissait en Allemagne sous la forme du fascisme.

Aux pronostics mensongers du Komintern sur la montée révolutionnaire (1929) et sur l’imminence d’une situation révolutionnaire en Allemagne (1929-1932), l’opposition léniniste a opposé avec continuité ses avertissements sur ce qui mûrissait comme situation ouvertement contre-révolutionnaire, sur le danger que les tendances à se défendre ne se développent pas assez au sein du prolétariat, en raison principalement de ce que sa direction noyait sa vigilance sous un vacarme faussement révolutionnaire.

Aux affirmations trompeuses du Komintern selon lesquelles le fascisme est « une radicalisation de gauche des masses » et « un marchepied vers le communisme », l’opposition léniniste opposait une caractérisation du fascisme comme mouvement nationaliste et chauvin le plus à droite, directement dirigé par le capitalisme monopoliste.

Contre les déclarations désorientatrices du Komintern (1930-1932) qui prétendait que les fascistes ne pensaient à aucun coup d’État, que le coup d’État fasciste avait déjà eu lieu avec Brüning comme chancelier, que les fascistes s’enracinaient dans la république de Weimar, qu’on ne pouvait envisager une dictature du Parti national-socialiste en Allemagne que dans le cadre et sous la forme de la démocratie bourgeoise, l’opposition léniniste soulignait les différences entre le fascisme et la démocratie bourgeoise, l’importance de cette différence justement pour le prolétariat, le danger exceptionnel et toujours croissant précisément d’un coup d’État fasciste, le fait que le fascisme victorieux ne s’enracinerait pas dans la démocratie bourgeoise de Weimar, mais qu’il la démolirait, qu’il ferait sauter ses formes et son cadre, indépendamment du fait qu’il accède au pouvoir par la voie parlementaire ou pas.

À la tactique du Komintern d’un front uni avec les fascistes[39], l’opposition léniniste opposait la tactique d’un front unique contre les fascistes.

L’opposition léniniste opposait au slogan du Komintern « faire feu principalement sur la social-démocratie » son slogan « ouvrons le feu principal sur les nationaux-socialistes, les fascistes ».

Au terme « social-fascistes » (que le Komintern répandit de juillet 1928 à février 1933), un terme qui désoriente les travailleurs dans leur lutte avec les fascistes, l’opposition léniniste opposait l’affirmation que la social-démocratie et le fascisme « sont deux pôles du front bourgeois » qui ne pourraient s’unir qu’au moment où la société bourgeoise se trouverait directement menacée par la révolution prolétarienne.

Au slogan du Komintern « front unique seulement par en bas », qui signifie en pratique rejeter tout front unique avec les travailleurs sociaux-démocrates, l’opposition léniniste opposait le slogan du front unique sur la base des décisions du 4e congrès du Komintern[40], et par le bas et par le haut, surtout dans la lutte contre le fascisme.

Pendant un certain nombre d’années, l’opposition léniniste exigea que, dans la lutte avec le fascisme allemand, l’on prépare et applique la tactique léniniste de l’époque du combat contre Kornilov[41]. En réponse à cela, tout le mouvement stalinien international accusa l’Opposition et le camarade Trotsky de s’efforcer de réaliser un « front unique avec Brüning », « un front unique de Thälmann[42] à Brüning », « un front unique avec les prêtres catholiques », avec le «  pape », et il nous accusa d’en tenir pour la théorie social-démocrate du « moindre mal ».

Les bolcheviks-léninistes défendaient la nécessité d’appliquer la tactique du front unique selon les principes fondamentaux du 4e congrès, et par le haut et par le bas. En réponse, le stalinisme calomniait, faisant comme si nous voulions un front uni seulement par en haut, c’est-à-dire avec les seuls dirigeants sociaux-démocrates, mais sans les masses.

À partir de 1930, les bolcheviks-léninistes ont exigé que l’on prenne toutes les mesures voulues pour préparer une grève générale et l’armement des ouvriers sociaux-démocrates et communistes sous le mot d’ordre du front uni. Pour repousser ces mots d’ordre, le stalinisme y allait de ses calomnies, prétendant que nous semions l’illusion que Brüning allait armer les ouvriers.

À la veille de la dernière élection présidentielle, les bolcheviks-léninistes ont indiqué que Hindenburg pouvait facilement passer dans le camp fasciste et que, par conséquent, mettre en avant un candidat ouvrier antifasciste à la présidence était l’objectif du front unique que le Parti communiste imposerait à la social-démocratie.

Avec toute leur tactique, les dirigeants du parti ont, eux, contrecarré cette tâche et assuré ainsi la victoire de Hindenburg, y compris avec les voix de millions d’électeurs communistes.

À partir de l’automne 1932, les bolcheviks-léninistes ont actionné sans se lasser le signal d’alarme devant le danger qu’un coup d’État fasciste, qui réunirait toutes les forces de la réaction, devienne non seulement une question pratiquement d’actualité, mais qu’il s’agisse d’une affaire de semaines ou tout au plus de quelques mois. Autrement dit, on pouvait et devait s’attendre maintenant chaque jour, à toute heure, à un coup d’État fasciste extraparlementaire ou parlementaire. Même ici, à plusieurs milliers de verstes[43] de distance, on sentait avec une indubitable netteté que l’Allemagne allait à toute vitesse de la crise politique au coup d’État contre-révolutionnaire. Or c’est précisément à ce moment-là que le stalinisme international cria, plus fort que jamais, qu’en Allemagne mûrissait… une crise révolutionnaire. Cette clique se couvrit d’une honte en vérité impérissable avec l’éditorial même de la Pravda du 30 janvier 1933[44]. Au moment précis où le chancelier du Reich de la contre-révolution arrivait enfin au pouvoir, cette gazette d’une bureaucratie stupide marmonna comme d’habitude : « La dictature fasciste en Allemagne est dans une impasse. Elle piétine, n’étant pas en situation de renforcer sa position. »

Trotsky avait prévenu qu’en cas d’arrivée au pouvoir Hitler multiplierait ses forces de beaucoup ; qu’au lendemain de sa victoire le char fasciste passerait sur les crânes et les colonnes vertébrales des prolétaires allemands ; que cela obligeait l’URSS à mettre en mouvement l’Armée rouge afin d’aider une classe ouvrière allemande se levant pour combattre le fascisme qui venait de prendre le pouvoir (et la certitude de cette assistance l’aurait fait se dresser sans délai et de façon spontanée !). En réponse à cela, le 12e plénum du comité exécutif du Komintern[45] avait déclaré par la voix aussi bien de Thälmann que de Manouïlski[46] : « Trotsky veut provoquer une guerre entre l’URSS et l’Allemagne. »[47]

C’est ainsi que la plus grande trahison de la révolution mondiale a été préparée, par la cécité et l’opportunisme, la trahison et la calomnie.

13 – La facilité avec laquelle la contre-révolution a accompli son coup d’État, la bureaucratie de l’IC l’expliquera, demain bien sûr, par la « passivité » du prolétariat « qui n’a pas voulu accepter » le combat, et non par le fait que ni le Komintern ni la direction du KPD (sans même parler de la IIe Internationale et du SPD) n’ont aucunement préparé le prolétariat à résister, n’ont pas opposé de résistance au coup d’État et n’ont pas appelé la classe ouvrière à le faire. À quoi sert d’entraîner la social-démocratie dans la lutte quand, à l’image de l’attitude de la social-démocratie, on ne se bat pas soi-même et qu’on ne se prépare pas à lutter ?

Durant des années, plusieurs millions d’ouvriers allemands se disaient sans doute : si le Parti communiste appelle déjà sans cesse à la grève générale et aux barricades, alors qu’il n’y a pas de situation révolutionnaire et qu’à la tête du gouvernement il y a Müller[48] et Brüning, combien sera grande sa résistance, n’en doutons pas, quand les Hitler, les Göring[49] et les Frick[50] s’aviseront de vouloir prendre le pouvoir ?

Le bavardage révolutionnaire du Komintern cachait son véritable visage aux ouvriers, à un point tel qu’il est douteux que beaucoup parmi les communistes auraient osé exprimer à haute voix leur crainte qu’au moment précis où débuterait le coup d’État fasciste la masse des six millions de communistes en resterait un témoin passif. Mais c’est ce qui est arrivé. La direction de l’Internationale communiste a capitulé devant le fascisme, ayant ainsi paralysé toute résistance de la classe ouvrière.

Cette félonie du stalinisme international a porté un coup ravageur aux idées du communisme et à la confiance dans les communistes. Surpassant le purcellisme[51], le kuomintanguisme[52] et l’année 1923[53], cette trahison de la révolution internationale entrera dans l’histoire à côté de la date du 4 août 1914[54].

14 – Même nous, bolcheviks-léninistes de Russie, avons sous-estimé toute la profondeur de la dégénérescence de la direction du Komintern et des partis communistes des principaux pays capitalistes.

La stérilisation de ce qu’il y a de révolutionnaire dans les partis communistes a résulté, d’une part, de leur soumission à ce dont avait besoin, à l’intérieur, une bureaucratie russe dégénérée ; d’autre part, de leur adaptation au régime et au cadre de la légalité démocratique bourgeoise dans une période de stabilisation du capitalisme ; et, en troisième lieu, des pressions de leurs propres appareils, avec leur inertie, avec leurs milliers de postes et de bonnes petites places bien payés et respectables de membres du Reichstag, des parlements régionaux, des municipalités et des communautés locales, de rédacteurs de la presse du parti, de propagandistes, de secrétaires, etc., etc.

Toutes ces causes d’ossification, de bureaucratisation et de dégénérescence, sur lesquelles l’opposition léniniste n’a cessé d’alerter, ont agi peu à peu, sans que les masses s’en rendent vraiment compte. Et ce qui a marqué le passage d’une évolution quantitative à un changement qualitatif en ce domaine, cela aura été seulement les événements de 1933 en Allemagne, au cours desquels tout cela a percé au grand jour de façon catastrophique, et pas aussi soudaine que l’on pourrait le croire.

15 – La bureaucratie stalinienne a fait des avances à Hitler pendant trois ans, le considérant comme le futur maître de l’Allemagne. Par toutes ses actions et celles du Komintern, elle l’a aidé à aller au pouvoir. Elle a mis le pied de Hitler à l’étrier, comme elle l’avait fait autrefois pour Tchang Kaï-chek.

Dans la période qui va de 1929 à 1932, avant que les radicaux parviennent au gouvernement en France, l’aile gauche du « bloc national », ce véritable centre dirigeant de la bourgeoisie française et organe politique du Comité des forges[55], se trouvait au pouvoir. Les relations entre la France et l’URSS étaient alors très tendues. Le point culminant de cette tension fut le procès du « parti industriel »[56] et celui du « bureau fédéral du Parti ouvrier social-démocrate de Russie »[57]. C’est précisément à cette époque que le fascisme allemand, qui était devenu un important facteur politique, commença à proférer des menaces particulièrement furieuses à l’adresse de la France, tout en faisant des avances à l’URSS. Hitler répétait, en l’élargissant, la manœuvre de Tchang Kaï-chek.

La bureaucratie stalinienne prit au sérieux cette posture de Hitler, qui ne visait qu’à tromper. C’est pour cela qu’elle a soigneusement passé sous silence l’importance de son arrivée au pouvoir avant comme après le 30 janvier[58]. Et voilà aussi pourquoi ce n’est qu’après que Hitler eut abattu ses véritables cartes en matière de politique étrangère, révélant « de manière inattendue » qu’elle coïncidait du tout au tout avec les projets qui ont fait sensation de G. Hervé[59] (conversation de Göring avec François-Poncet[60], rencontres de Rosenberg[61], discours de Hitler lui-même), que la direction stalinienne, paniquée, a opéré un tournant marqué par deux actes honteux venant d’elle : l’URSS se charge de garantir le traité de Versailles, dont elle assume les obligations, et l’Internationale communiste acte, par le manifeste de son comité exécutif du 5 mars 1933, sa capitulation sans condition devant la IIe Internationale.

Il ne sert à rien d’en appeler aux sentiments nationaux de Hitler. Pas plus que de se référer (Izvestia[62] du 4 mars 1933[63]) au fait que même le journal conservateur anglais Morning Post a compris que la bureaucratie a fait de l’IC et de ses sections un facteur de stabilisation du capitalisme. Le fascisme est l’ennemi implacable de l’URSS, eh bien, la bureaucratie se précipite ouvertement dans les bras de l’impérialisme français et de la IIe Internationale.

Après avoir refusé durant trois ans d’organiser un front unique pour combattre le fascisme, la direction du Komintern a, avec son manifeste, transformé la tactique de front unique en une capitulation en rase campagne devant la social-démocratie. Ce faisant, c’est en se cachant derrière des traîtres que la bureaucratie cherche son salut contre une intervention militaire.

La « non-agression » mutuelle est une amnistie mutuelle. Le Komintern s’oblige à ne pas dénoncer la trahison de la social-démocratie ; en échange de cela, l’Internationale socialiste tait la même trahison des dirigeants de l’Internationale communiste.

Voilà le sens du manifeste du comité exécutif de l’IC du 5 mars[64].

16 – La victoire du fascisme donne-t-elle un répit supplémentaire au capitalisme ? Bien que notre époque soit et reste celle des révolutions prolétariennes, bien que la victoire du fascisme exacerbe à l’extrême les contradictions de classes et interétatiques, la victoire de Hitler n’en renforce pas moins temporairement la domination politique de la bourgeoisie, repoussant quelque peu les dates de la révolution prolétarienne. C’est en cela que réside le sens principal de la défaite du prolétariat allemand.

Bien sûr, il n’est pas nécessaire de parler de « décennies ». Les idéologues du fascisme peuvent en rêver. Mais si, comme l’écrivait Lénine, la victoire des gardes blancs en Russie aurait signifié trente à quarante ans de déchaînement de terreur blanche, on ne peut en dire autant à propos de l’Allemagne[65].

La Russie est un pays paysan. Les ouvriers y constituent une infime minorité de la population et, pour une fraction importante d’entre eux, ils n’ont pas encore rompu leurs liens avec le village. Les choses se présentent d’une autre façon en Allemagne. La classe ouvrière allemande représente la moitié du pays. Nous vivons à une époque de guerres et de révolutions, où l’expérience politique des masses croît rapidement, où tous les processus de la vie sociale avancent à pas de géant, où les classes ne peuvent se trouver longtemps dans un état de confusion et de passivité, aussi cruelles qu’aient été les défaites subies. Cela ne laisse pas de place aux rêves capitalistes de décennies de répit pour l’Allemagne.

Tabler sur le fait que les vainqueurs tiendront un mois ou deux et se battront entre eux, frayant ainsi la voie aux communistes, c’est bien sûr faire complètement fausse route. Il faut voir que, ne nous trouvant pas dans une période révolutionnaire, à quelque degré que le fascisme accentue toutes les contradictions, le prolétariat aura beaucoup plus de mal à le renverser que le régime de Weimar (toutes autres conditions restant égales). Même si l’Allemagne devait garder sur elle les chaînes de Versailles, la répression sans merci de la classe ouvrière ferait gagner une pause, un répit, à son capitalisme.

Les contradictions internes et externes pousseront les gouvernements de l’Allemagne fasciste sur la voie de l’agression extérieure et, d’un point de vue historique, contre l’URSS, car il n’y a pas et ne peut y avoir d’autre moyen de consolider durablement la contre-révolution que par la guerre et via les guerres.

Mais la guerre est grosse d’énormes explosions révolutionnaires !

Bien entendu, la perspective d’une guerre de l’Allemagne contre l’URSS ne doit pas s’entendre comme une perspective pour les mois qui viennent, mais de façon plus vraisemblable pour les toutes prochaines années. En revanche, le coup d’État fasciste nous rapproche à pas de géant d’une guerre nippo-soviétique.

La terreur contre les travailleurs et la tentative fasciste de remanier de fond en comble toutes les organisations du prolétariat vont, bien sûr, précéder la guerre.

Le slogan des chômeurs italiens « Du pain et la guerre » est un indicateur des plus alarmants quant à la situation, et pas seulement en Italie.

La contre-révolution ayant étranglé les organisations ouvrières en Allemagne, la question se pose, de ce fait, non seulement d’un répit pour le capitalisme, mais aussi de savoir ce qui a changé dans les voies que peut le plus probablement emprunter la révolution mondiale pour aller vers la prise du pouvoir : le prolétariat allemand peut céder sa première place au prolétariat français ou anglais.

17 – Comment, hors d’Allemagne, y a-t-il le plus de chances que se réorganisent les forces résultant du coup d’État fasciste ?

Tout d’abord, on aura une consolidation du fascisme italien et un affaiblissement de toutes les forces de classe qui le combattent.

Avec sa population de 7 à 8 millions d’Allemands, l’Autriche est aussi une unité que l’on ne saurait détacher économiquement de l’Allemagne. Bien qu’elle soit plus dépendante de la France et de la Société des nations que ne l’est l’Allemagne, sa fascisation se trouve presque déjà inscrite dans le coup d’État en Allemagne. En France, la réorganisation politique dans le camp de la bourgeoisie s’effectuera à droite et l’arrivée au pouvoir du bloc national ne devrait guère tarder. Il est vrai que les regroupements radicaux pacifistes, actuellement au pouvoir, ont grandement accru leur autorité du fait de leurs succès en politique étrangère, avec la transformation de l’URSS en garant du traité de Versailles. Ils ont aussi été renforcés par l’entrée déclarée du Parti communiste français dans le chenal du pacifisme bourgeois. Néanmoins, les maîtres de la France ne sont pas ces petits groupes petits-bourgeois, mais les forces de la réaction se tenant encore dans l’ombre et qui voient l’écrasement de l’URSS par les forces du bloc franco-allemand comme leur tâche historique (ou stratégique).

La France n’a rien à gagner à une nouvelle guerre franco-allemande. Le maintien du traité de Versailles la place désormais sous la menace d’une attaque venant de l’est. La crise ébranle son économie. La question des nouveaux marchés, comme celle des zones d’influence, devient de plus en plus pressante pour elle. Il est naturel de ce fait que les pensées et les regards des réactions française et allemande se dirigent vers l’est proche, vers l’URSS. Tant que la base de la dictature prolétarienne créée par la révolution d’Octobre ne sera pas détruite, c’est-à-dire tant que les rapports de propriété bourgeois ne seront pas restaurés, l’URSS se dressera devant le capitalisme mondial comme une force socialement hostile.

Jusqu’alors, la bourgeoisie ne pouvait se décider à la guerre de peur que celle-ci enflamme la révolution mondiale. Mais la situation politique au sein de l’URSS et de l’Allemagne alimente ses espoirs en l’issue heureuse d’une telle guerre pour le capitalisme.

Bien sûr, le prolétariat peut rapidement faire que la bourgeoisie voie ses espérances déçues. Et, dans certaines conditions, la guerre peut même donner l’impulsion à une renaissance de la dictature du prolétariat en URSS. Dans ce cas, la guerre des impérialistes contre l’URSS constituerait le prologue de la plus grande tempête révolutionnaire mondiale et de l’effondrement du capitalisme européen.

Le plus probable est que le coup d’État en Allemagne n’exacerbe les relations franco-allemandes que pour une courte période. En revanche, il aggravera fortement les relations germano-soviétiques, et pour longtemps, probablement jusqu’à ce qu’elles explosent, c’est-à-dire comme si les contradictions de l’ensemble du monde capitaliste se concentraient sur le seul pays qui n’en fait pas directement et concrètement partie, et où ce qu’il reste de l’héritage de la révolution d’Octobre le dresse en ennemi du système capitaliste.

Le coup d’État fasciste, ce n’est pas seulement la perspective d’un bloc franco-allemand contre l’URSS, mais celle aussi, toute proche, d’un bloc de l’Allemagne avec l’Italie, l’Autriche, la Hongrie et la Bulgarie. La Turquie peut facilement s’y joindre. La proximité de la guerre et la promesse de lui céder Batoum[66] et une partie des terres soviétiques riveraines de la mer Noire briseront les liens entre la Turquie et l’URSS.[67]

Ce sont les États-Unis, l’ennemi le plus puissant, le plus irréconciliable et le plus fondamental de l’URSS, qui financeront la guerre contre elle. L’Angleterre et la France y apporteront leur contribution.

Un bloc de l’URSS avec la France contre l’Allemagne, qui s’inscrirait dans le long terme au regard de l’histoire, est chose peu probable. Mais il recèle lui aussi de grands dangers pour l’évolution intérieure de l’URSS.

La bureaucratie a déjà franchi les premiers pas vers sa mise en place. Une déclaration de Litvinov[68] sur l’accord de l’URSS pour garantir la sécurité du traité de Versailles (ce n’est pas la France mais l’Allemagne qui a libéré la Russie du traité de Brest-Litovsk[69]) constitue un pas important pour transformer l’URSS en un vassal armé de la France, ce gendarme de l'Europe, selon l’expression d’un super-patriote français, Gustave Hervé. Désormais, l’URSS défend les frontières orientales de la France impérialiste et les frontières occidentales de la Pologne semi-fasciste !

L’étreinte de fer de l’impérialisme français ami étouffera ce qui reste de la révolution d’Octobre. La bureaucratie, qui fait passer sa propre conservation comme étant celle de la révolution, sacrifiera maintenant encore plus vite cette dernière au nom de la première, en abandonnant par bouts même son monopole du commerce extérieur, en contrepartie de la garantie de l’inviolabilité des frontières occidentales de l’URSS. Bien sûr, l’intégration définitive de l’URSS dans le système capitaliste présuppose qu’on ait d’abord liquidé les vestiges du système né d’Octobre, ce qui ne pourrait s’accomplir sans des séismes internes et sans une défaite finale du prolétariat soviétique. Mais le renforcement généralisé de la réaction mondiale, qui découle de la victoire du fascisme allemand, facilite grandement tout cela.

Le coup d’État fasciste ravivera les espoirs et l’activisme de tous les éléments contre-révolutionnaires en URSS. Les éléments bonapartistes et thermidoriens de l’appareil d’État, de l’appareil du parti, de l’Armée rouge, de l’intelligentsia technique[70] et de toute autre sorte d’intelligentsia, des koulaks et des nepmen[71], des larges couches de la paysannerie que la politique aventuriste du stalinisme[72] a rejetées dans le camp de la contre-révolution, tous ces éléments se trouveront politiquement mis en mouvement par la victoire de la contre-révolution en Allemagne. Dans ces conditions, le danger d’un coup d’État bonapartiste devient particulièrement menaçant.

18 – Par ses trahisons en chaîne, le stalinisme a affaibli et désorganisé le prolétariat mondial, dont le soutien a préservé jusqu’à maintenant les vestiges du système d’Octobre. Depuis des années, le stalinisme prétend que l’abandon de l’orientation vers la révolution internationale, l’étouffement du Komintern, la paralysie de la propagande et des actions révolutionnaires des partis communistes des pays capitalistes les plus forts et de ceux des colonies, la lutte sans merci contre l’opposition léniniste et le camarade Trotsky seraient le prix à payer pour que se renforce l’État soviétique ; ce faisant, le stalinisme ne vise en réalité qu’à se protéger lui-même et à s’élever au-dessus prolétariat. De là, le silence du Komintern sur les événements de 1930 en Inde[73], sur les grèves dans la flotte anglaise[74], de là l’interdiction faite aux ouvriers russes de réagir à ces événements et même à la terreur fasciste en Allemagne. (Mais combien d’assemblées les fonctionnaires vendus[75] ont-ils organisées pour passer au crible le « cas » du camarade Trotsky !)

Plus se dresse la vague de réaction mondiale, plus s’accélère le processus de dérive et de dégénérescence de la bureaucratie. Elle ne combat pas la réaction, elle la renforce elle-même en jetant par-dessus bord les conquêtes et traditions d’Octobre, afin d’acheter à l’URSS une existence SANS CONFLIT dans un environnement capitaliste.

Le salut de l’URSS, la bureaucratie le voit non pas dans la révolution mondiale, mais dans son rejet, sous prétexte de construire une société socialiste dans un seul et unique pays et avec les seules forces de ce pays.

Mais, en trahissant les intérêts du prolétariat mondial au nom du prétendu intérêt de son propre prolétariat, celui de l’URSS, la bureaucratie n’obtient en échange que de lamentables chiffons de papier portant l’inscription « pacte de non-agression ».

Au lieu de renforcer l’État soviétique, elle ne fait que faciliter sa défaite, car elle détruit les seules bases sociales internationales sur lesquelles peut tenir le régime de la dictature du prolétariat en URSS.

En renonçant à la révolution permanente internationale, elle alimente la contre-révolution.

La bureaucratie soviétique a sans cesse frayé la voie à la réaction mondiale pour qu’elle écrase le mouvement communiste.

L’URSS se détache du prolétariat mondial, comme ce dernier se détache du prolétariat de l’URSS.

La contre-révolution allemande inonde l’Europe d’une vague de réaction noire. Le fascisme et le semi-fascisme mondial organisent l’aide de l’État aux fascistes autrichiens et allemands. Seul le prolétariat de ces pays se trouve abandonné à son propre sort. Le Komintern n’a même pas essayé de le faire se regrouper ni de l’appeler à riposter à la réaction, comme il n’a pas tenté de mobiliser à sa rescousse tous les moyens du mouvement communiste mondial et les moyens étatiques du prolétariat de l’URSS ; tout comme celle-ci s’était retrouvée coupée du prolétariat allemand par le blocus que lui imposa Guillaume II jusqu’à la révolution du 9 novembre.

L’appel des « partis communistes frères » à casser les vitres des ambassades allemandes à Barcelone et ailleurs (mais pas à Moscou, bien entendu) n’est que le travestissement « révolutionnaire » d’une trahison consommée. Cela s’accompagne du fait que le stalinisme passe totalement sous silence la signification mondiale et historique du coup d’État en cours. En URSS, pas un seul meeting, pas une seule résolution des ouvriers sur le coup d’État fasciste en Allemagne !

Le coup d’État contre-révolutionnaire en Allemagne porte un coup dur au prolétariat de l’URSS, car il renforce son isolement vis-à-vis de l’extérieur, par rapport au prolétariat d’autres pays.

Si la révolution en Allemagne aurait donné une puissante impulsion au mouvement révolutionnaire en URSS, en revanche la contre-révolution en Allemagne représente un danger d’autant plus fort qu’elle ravive les éléments contre-révolutionnaires dans notre pays, en renforçant le regroupement des forces de classes à droite, ce qui peut y rendre beaucoup plus difficile le rétablissement de la dictature du prolétariat et de son parti, et rapprocher le danger d’un coup d’État bonapartiste mené à terme.

La victoire du fascisme allemand signifie que, sur la route de la révolution victorieuse, le prolétariat du monde entier devra surmonter une vague nouvelle, énorme, de réaction mondiale.

19 – La victoire du fascisme allemand non seulement ne signifie pas une stabilisation du capitalisme, mais elle porte au contraire toutes ses contradictions à un nouveau niveau, plus élevé. Il n’y a que dans l’écrasement de l’Union soviétique qu’il trouverait à asseoir son équilibre sur un socle nouveau pour plusieurs années. Le répit que le capitalisme allemand s’achète en établissant un régime fasciste ne fait que repousser le terme de son agonie. À l’ordre du jour immédiat figurent de nouvelles guerres en Europe et en Asie, de nouveaux bouleversements sociaux gigantesques.

L’Allemagne de Weimar est tombée sans trouver dans son camp un seul défenseur prêt à se sacrifier pour elle. Mais, avec la république de Weimar, ce qu’on enterre, ce sont non seulement les illusions réformistes des masses, mais également les acquis bien réels de plusieurs générations ouvrières.

La contre-révolution renforce fiévreusement ses positions en nettoyant les landtags, les municipalités, les communautés locales, les comités d’entreprise, les organisations culturelles et éducatives du pays des cadavres politiques de la démocratie bourgeoise pourrie et impuissante et des membres du Parti communiste. La contre-révolution a pu s’emparer sans combat de positions dominant la scène politique en raison de la capitulation des dirigeants de la classe ouvrière. Mais la résistance SPONTANÉE des masses reste entièrement à venir. Les futures batailles entre le prolétariat et le fascisme s’engageront lorsque ce dernier se lancera dans une vaste attaque frontale contre les acquis sociaux et économiques de la classe ouvrière. C’est précisément à ces batailles que les bolcheviks-léninistes d’Allemagne doivent maintenant mettre tout leur soin à préparer le prolétariat. Une forte RÉSISTANCE au fascisme sur cette ligne peut, dans des conditions favorables, se transformer en point de départ de luttes offensives du prolétariat contre le fascisme dans son ensemble, et ensuite, aussi, contre tout le régime capitaliste de l’Allemagne.

Appeler aujourd’hui les travailleurs allemands à une grève générale immédiate serait absurde et criminel. Ce serait faire preuve d’un ultragauchisme de la pire espèce. Proclamée aujourd’hui, une telle grève serait vouée à une défaite totale et sans condition. LA GRÈVE, IL FALLAIT ET ON POUVAIT LA FAIRE LE JOUR OÙ LE CHANCELIER DU REICH NOIR ARRIVAIT AU POUVOIR, le 30 janvier. Le prolétariat avait alors de bonnes chances de l’emporter. Si le prolétariat avait répondu ce jour-là par la lutte, Hitler n’aurait pas recueilli 17 millions de voix le 5 mars, au contraire, beaucoup d’hésitants de son camp l’auraient quitté. Transformée dans la foulée en guerre civile, cette lutte aurait ouvert alors des perspectives révolutionnaires colossales. Mais le camp stalinien et les sociaux-démocrates ne préparaient pas le prolétariat à cette lutte. Le Komintern ne proposa même pas aux sociaux-démocrates de réagir sur-le-champ à la nomination de Hitler par une grève générale. C’est là qu’on a LAISSÉ ÉCHAPPER le moment où il aurait été possible de mener une grève VICTORIEUSE contre les fascistes. Cela aurait permis de devancer le gigantesque renforcement par à-coups de la contre-révolution (17 millions de voix pour les nationaux-socialistes le 5 mars) et la réalisation du coup d’État.

20 – L’erreur commise par le comité central du Parti communiste bulgare en 1923 (sa « neutralité » devant le coup d’État de Tsankov[76]) fut alors caractérisée avec justesse par le Komintern comme une erreur de caractère social-démocrate. Le camarade Trotsky évalua de la même façon la conduite du comité central du Parti communiste polonais lors du coup d’État de Pilsudski[77] (à l’initiative de Warski[78], le comité central du Parti communiste de Pologne a presque soutenu ce coup d’État[79]). La tactique du comité central du KPD en 1933 a été mise en œuvre en pleine conformité avec les directives du Komintern, qui n’ont pas été discutées, et non en contradiction avec ses directives, comme cela fut le cas en 1923 en Bulgarie. Que cette tactique ait coïncidé avec celle de la social-démocratie allemande ne doit rien au hasard.

Le coup d’État fasciste a arraché, une fois pour toutes, le masque ultragauche du visage de la direction. Dès lors, tout le monde verra clairement que tout ce tapage ultragauche, qui a commencé à la fin de 1927 (Canton)[80], en passant par les barricades, les manifestations sans fin des « journées rouges » et en se poursuivant dans les affrontements de rue en Allemagne, avait pour but d’empêcher les masses de voir la dégénérescence de la direction sociale-démocrate, de les détourner de l’Opposition de gauche, d’affaiblir et de paralyser le travail de l’opposition léniniste et du camarade Trotsky qui s’attachaient à démasquer la direction et à créer la fraction internationale des véritables communistes léninistes. Avec ces aventures ultragauches, qui ne menaçaient nullement la bourgeoisie dans son ensemble, la direction masquait les limites des actions des partis communistes, et par conséquent des masses qui les suivaient encore, ainsi que leur adaptation au cadre et aux formes des régimes des plus grands pays capitalistes. Ayant ainsi transformé les partis communistes en paratonnerres – qui attirent à eux les décharges électriques du mécontentement des masses face au capitalisme et orientent ce mécontentement sur des lignes ultragauches, révolutionnaires en apparence, mais ne menaçant pas les fondements du capitalisme – la direction détournait de cette façon les masses des voies de l’opposition léniniste.

Cette politique a renforcé les relations amicales de la bureaucratie avec les puissances impérialistes, qui trouvaient des plus utiles un paratonnerre social de ce genre, fardé aux couleurs de la révolution d’Octobre, pour remplacer une social-démocratie compromise. Les derniers événements en Allemagne apportent la preuve de cette cruelle vérité aux yeux du monde entier.

21 – Le réformisme s’est épanoui sur la base de la démocratie bourgeoise. La crise de cette dernière a été une crise de la social-démocratie. Elle s’est particulièrement manifestée en Allemagne, où les sociaux-démocrates n’ont cessé de perdre des partisans année après année. La faillite de la démocratie bourgeoise est la fin du réformisme. Fascisme ou communisme – c’est ainsi que l’histoire pose la question. La classe ouvrière, qui s’opposera bientôt au fascisme allemand, ne le fera que sous la forme du communisme.

Le Komintern de Lénine, liquidé par les staliniens qui l’ont transformé en un appendice opportuniste du commissariat du peuple aux Affaires étrangères, va commencer à se défaire au gré des divisions et des scissions dans ses sections les plus fortes. Ce n’est pas l’actuel Komintern qui s’opposera au fascisme, mais un Komintern régénéré, sur une base plus élevée par une cristallisation, autour de la gauche communiste internationale et de Léon Trotsky, des meilleurs éléments des partis officiels actuels et des prolétaires révolutionnaires sans parti, des travailleurs syndiqués et sociaux-démocrates qu’ils auront gagnés dans la lutte sous les mots d’ordre du front unique ouvrier.

L’effondrement des partis communistes officiels est désormais inéluctable, non pas à cause de la terreur hitlérienne, mais à cause de la trahison décisive du stalinisme. Hitler libérera le mouvement communiste de ses éléments qui en profitent et qui le parasitent. La trahison du stalinisme fera affluer vers les rangs de l’Opposition de gauche mondiale tout ce qu’il y a de ferme et de dévoué au communisme.

Il est désormais indubitable que l’Opposition de gauche internationale va croître et se renforcer en tant qu’axe autour duquel se cristallisera non seulement le communisme, mais la classe ouvrière dans son ensemble.

Le 4 août[81], l’Internationale communiste est née. 1933 sera un puissant prologue de sa renaissance. Les bolcheviks-léninistes d’Allemagne se doivent de prendre l’initiative des luttes immédiates de la classe ouvrière sous toutes leurs formes. En utilisant ce qui reste de légalité et en respectant la plus stricte clandestinité, ils doivent la mobiliser sous les mots d’ordre de front unique pour lutter contre le fascisme, afin de pouvoir transformer le plus rapidement possible les luttes partielles du prolétariat en une grève générale, universelle, et en une guerre civile.

22 – Le fascisme se renforce au pouvoir et devient de plus en plus fort d’heure en heure. La terreur des gardes blancs a déjà commencé. On applique la peine de mort, et de façon officielle. La capitulation de ses chefs ne sauvera pas le prolétariat de la terreur, mais rendra seulement plus facile la tâche du fascisme.

Tant que le fascisme n’a pas encore triomphé en Autriche ;

tant que les réactionnaires ne sont pas parvenus au pouvoir en France ;

tant que le fascisme ne s’est pas consolidé définitivement en Allemagne ;

tant que ne sont pas achevés les processus en cours en URSS ;

tant que le prolétariat allemand n’est pas écrasé,

la possibilité d’en finir avec le fascisme allemand n’est pas perdue, même à l’étape actuelle.

Mais il ne subsiste qu’une voie pour y parvenir : celle du courage et de la détermination révolutionnaires sans réserve, la voie de l’aide au soulèvement du prolétariat allemand, avec les baïonnettes de l’Armée rouge et par la mobilisation de toutes les forces du communisme international.

Mais ce n’est pas la voie de la bureaucratie, pour laquelle l’armée et les partis communistes internationaux sont un moyen d’affermir le pouvoir qu’elle a usurpé au prolétariat : c’est la voie de la classe ouvrière elle-même. Seule la renaissance de la dictature du prolétariat et du parti pourrait donner réalité à cette voie.

23 – Le fascisme est un méandre de l’histoire, une anicroche historique dans la progression générale de la lutte de classe et de la révolution prolétarienne mondiale. Mais notre tâche n’est pas de rassurer les masses, de semer des illusions optimistes. Ne pas endormir, mais pointer le danger, sonner l’alarme, mobiliser pour la lutte, voilà notre tâche, voilà comment Lénine et Trotsky agissaient aux moments les plus dramatiques de notre révolution.

Plus grand est le danger, plus fort nous devons tirer le signal d’alarme.

Des milliers de communistes allemands remplissent les prisons fascistes. Des milliers d’ouvriers révolutionnaires ont déjà été tués et remplacés par des fascistes. Le bras mortel du fascisme se dresse au-dessus de la tête de milliers de communistes.

Ces circonstances tragiques ne doivent en aucun cas nous inciter à passer sous silence la vérité sur les événements et le rôle qu’y ont joué les sociaux-démocrates et la direction communiste.

Ceux des communistes qui réfléchiront, ne serait-ce qu’en prison, aux raisons qui ont conduit les membres du Parti communiste à être fusillés et à être incarcérés, et non à la prise du pouvoir par le prolétariat sous la direction du Parti communiste ; ces communistes, toujours en prison, serreront les rangs autour de nos idées et de nos mots d’ordre.

La révolution mondiale entre dans l’une de ses étapes les plus dramatiques. Expliquer cela aux ouvriers du monde entier, mobiliser les ouvriers, parvenir à ce que la classe ouvrière comprenne les raisons qui ont conduit à ce stade, pour qu’elle comprenne que sous le régime stalinien il ne peut y avoir de victoire du prolétariat, pas seulement chez nous, mais qu’en Europe aussi cela la rend plus difficile, que, pour surmonter la vague gigantesque de la réaction mondiale, l’une des barrières décisives que la classe ouvrière doit abattre est le stalinisme international – voilà notre première tâche.

Et nous avons l’obligation de l’accomplir de toutes les manières possibles dont nous disposons, sous toutes les formes à notre disposition.

1er avril 1933

Liste des camarades qui ont signé les thèses Le coup d’État fasciste en Allemagne [82] : Dingelstedt F.[83] ; Kariakine M.[84] ; Papirmeister P.[85] ; Chinberg B.[86] ; Novikov P. ; Abramski A.[87] ; Portnoï M.[88] ; Bodrov M.[89] ; Papirmeister A.[90] ; Feldman ; Nevelson M.[91] ; Kessel[92] ; Borzenko ; Bloch ; Kouguélev[93] ; Kojévnikov N. ; Zaraïkine[94] ; Papirmeister S.[95] ; Èltsine V.B.[96]. Se sont joints par la suite : Danilovitch L. ; Khougaïev K. ; Brontman[97] ; Vachakidzé[98] ; Goguélachvili ; Topouria[99] ; Efrémov ; Chpitalnik[100] ; Sassorov ; Kholmenkine ; Chvyrkhov[101].


Notes (éd. Les Bons Caractères) :

Le coup d’État fasciste en Allemagne

1  Le texte russe emploie le terme perevorot, qui, selon le contexte, signifie révolution, prise du pouvoir, coup d’État.

2  Publication du courant trotskyste majoritaire à Verkhnéouralsk.

3  Traité de paix signé le 28 juin 1919 entre l’Allemagne d’un côté et la France, l’Italie, l’Empire britannique et les États- Unis de l’autre. L’Allemagne y perdait certains de ses terri- toires en Europe, ses colonies outre-mer, voyait sa capacité militaire fortement réduite et devait verser 132 milliards de marks-or comme « réparations de guerre ».

4  Signé à Paris le 7 juin 1929, il remplaçait le plan Dawes, qui aménageait déjà le versement des réparations par l’Allemagne. Le plan Young (jamais exécuté du fait de la crise de 1929) permettait d’en rééchelonner le paiement, ainsi que les rem- boursements liés à sa dette publique qui avait grossi.

5  Du nom du général Boulanger, qui participa à la répression de la Commune de Paris, puis fut ministre de la Guerre. Soutenu par les bonapartistes et les monarchistes, il tenta de fédérer tous les mécontentements derrière sa démagogie anti- allemande et antirépublicaine, mais fit faux bond à ceux qui espéraient qu’il organise un coup d’État. Poursuivi pour com- plot, il se réfugia à Bruxelles et s’y suicida sur la tombe de sa maîtresse en 1891.

6  Dénomination du mouvement créé en 1919 par Mussolini. Elle qualifia ensuite d’autres partis d’extrême droite, du fait de leur proximité avec le fascisme italien et parce que, premier à avoir pris le pouvoir, il leur servait de modèle.

7  Référence au livre de Trotsky Europe et Amérique. Son noyau se compose de deux textes, écrits en 1924 et 1926, qui déve- loppent, particulièrement le chapitre Les nouveaux rôles de l’Amérique et de l’Europe, l’idée exposée ici.

8  Animal monstrueux de la mythologie phénicienne évoqué aussi dans la Bible, il symbolise un mal gigantesque.

9  La Société des nations (1920-1946) mit en place un Comité du conseil (Grande-Bretagne, France, Italie, Autriche, Tchécoslovaquie) pour gérer les problèmes économiques de l’Autriche et de la Hongrie, avec une banque d’émission de monnaie à laquelle le gouvernement devait demander la per- mission d’engager des dépenses et les justifier.

10  Système monétaire dans lequel l’unité de compte correspond à un poids fixe d’or et où la monnaie est émise avec une garantie d’échange en or. Les grandes puissances l’adoptèrent à la fin du 19e siècle. Abandonné durant le premier conflit mondial, il fit son retour, pour disparaître à nouveau avec la crise de 1929. Grands vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis réindexèrent leur monnaie sur l’or, et d’autres États arrimèrent la leur au dollar. Cela jusqu’à ce qu’en 1971 Washington renonce à la convertibilité-or, la nouvelle crise majeure de l’économie mondiale ayant commencé.

11  Membre du parti du Centre, Heinrich Brüning fut chancelier de 1930 à 1932. Avec le soutien des sociaux-démocrates, il mit en place une politique déflationniste et interdit les SA. En 1933, il se réfugia aux États-Unis.

12  Capitale du duché de Saxe-Weimar-Eisenach, elle devint celle de la République portant son nom de 1919 à 1933, à la place de Berlin, cœur du mouvement ouvrier révolutionnaire allemand.

13  Les prétendus experts en gestion économique, en fait en ges- tion des affaires de la bourgeoisie et de ses États.

14  Elle débuta le 29 octobre avec le refus des marins de Kiel d’al- ler périr dans une sortie en mer voulue par l’état-major «pour l’honneur». Les jours suivants, soldats et ouvriers créèrent des conseils dans tout le pays. Guillaume II ayant abdiqué le 9 novembre, le gouvernement social-démocrate fit tout pour que la République nouvelle soit celle de la bourgeoisie: il écrasa les ouvriers et les soldats qui voulaient une révolution socialiste.

15  Premier ministre de Prusse et chancelier de la Confédération de l’Allemagne, Otto von Bismarck (1815-1898) joua un rôle crucial dans l’unification allemande sous l’égide de la Prusse. Il devint chancelier de l’Empire après 1871. Guillaume II l’écarta quand il monta sur le trône en 1890.

16  Propriétaires terriens nobles en Prusse.

17  De mars 1848 à mi-1849, la révolution enflamma une grande partie de l’Europe. La bourgeoisie des pays de langue alle- mande voulait secouer le joug féodal. Mais elle remisa ses vel- léités démocratiques pour se blottir sous l’aile de la réaction monarchique face à la menace d’une révolution ouvrière et socialiste.

18  De février à octobre 1864, le royaume du Danemark et celui de Prusse, allié à l’empire d’Autriche, s’affrontèrent pour la pos- session de deux duchés frontaliers. La défaite du Danemark fut un premier pas vers l’unité allemande.

19  Deuxième pas vers l’unité allemande, la Prusse défit l’Autriche en août 1866.

20  En juillet 1870, Napoléon III déclara la guerre à la Prusse. La défaite de la France début 1871 ouvrit la voie à la Commune de Paris, premier État où les masses laborieuses ont exercé le pouvoir. Quant à la Prusse, sa victoire lui permit de regrouper en un empire tous les territoires germaniques, sauf l’Autriche.

21  Le 21 octobre 1878, Bismarck fit interdire le Parti social- démocrate allemand (SPD) et arrêter ses dirigeants. Malgré cette « loi-muselière » (Bebel) appliquée durant douze ans, les militants du SPD surent s’implanter dans le prolétariat, déve- lopper leur parti et défendre les idées et le programme socia- listes aux élections.

22  Fin novembre 1878, la loi contre les socialistes permit d’ins- taurer « le petit état de siège » dans des villes et districts.

23  Il s’agit du mouvement trotskyste international d’alors.

24  Paul von Hindenburg devint son président le 12 mai 1925. Il le resta jusqu’à sa mort, le 2 août 1934.

25  En Allemagne, de l’été à l’automne 1923, le Parti communiste se retrouva face à une situation très favorable pour que la classe ouvrière prennne le pouvoir (cf. les Leçons d’Octobre de Trotsky). L’Octobre allemand se termina par un fiasco, du fait des atermoiements de la direction du KPD. La troïka Zinoviev- Kamenev-Staline dirigeant le PC russe et le Komintern se pré- occupait, elle, plus d’évincer Trotsky que d’aider la révolution en Allemagne.

26  Inachevée car ceux qui l’avaient initiée voulaient «faire comme en Russie ».

27  Le Parti nazi (NSDAP) fut fondé en 1920 pour combattre la classe ouvrière et le Parti communiste qui, de 1918 à 1923, tentèrent plusieurs fois de renverser l’État de la bourgeoisie.

28  Cela vise certains membres de l’Opposition de gauche en Union soviétique.

29  Créé en 1870, interdit en 1933.

30  Né en 1919, il se sépara de son aile gauche en 1930 pour fusionner avec un autre parti et devenir le Parti allemand d’État. Interdit en 1933.

31  Syndicat proche des partis libéraux. Fondé en 1868 par Hirsch et Duncker, il prônait la communauté d’intérêts entre employeurs et travailleurs. En 1932, il comptait deux tiers d’employés. Il a été dissous en 1933.

32  Celle des Guillaume (Wilhelm, en allemand) I et II.

33  Les parlements des régions qui, héritage de l’unification tardive du pays, ont gardé une certaine autonomie.

34  En premier lieu les SA (initiales allemandes pour Section d’assaut).

35  Nom de l’armée allemande entre 1919 et 1935, rebaptisée ensuite Wehrmacht par les nazis.

36  Organisation de vétérans de 1914-1918, de tendance monarchiste radicale et antiparlementaire. Elle fut désarmée en 1935 et ses membres les plus jeunes furent intégrés aux SA, que Hitler venait de mettre au pas.

37  En octobre 1931, un rassemblement se tint dans cette ville, en vue d’unifier l’opposition nationaliste.

38  Référence à l’Octobre 1923, dont la direction du KPD ne sut faire une révolution victorieuse.

39  Le KPD stalinisé se retrouva plusieurs fois au côté des nazis contre les sociaux-démocrates. Lors du référendum «rouge- brun» d’août 1931 contre le gouvernement social-démocrate de Prusse; lors de la motion de censure contre ce gouverne- ment en mars 1932; lors du vote de la motion qui provoqua la dissolution du Parlement en juillet 1932; lors de leur grève commune des transports à Berlin en novembre 1932, peu avant que Hitler accède à la chancellerie.

40  Le dernier congrès de l’IC tenu sous la direction de Lénine et de Trotsky (5 novembre-5 décembre 1922). Il est ici question de ses Thèses sur l’unité du front prolétarien.

41  Le 28 août 1917, le commandant en chef de l’armée russe, Lavr Kornilov, tenta de prendre Petrograd pour renverser le gou- vernement de Kérenski et liquider la révolution. Son putsch se brisa le 1er septembre sur la résistance des ouvriers et des soldats organisée par les bolcheviks. Lénine préconisa dans sa Lettre au comité central (30 août) de ne pas soutenir Kérenski, mais d’affronter à ses côtés l’ennemi le plus menaçant, pour se retourner ensuite contre le gouvernement de la bourgeoisie.

42  Ouvrier des transports, Ernst Thälmann (1886-1944) adhéra au SPD en 1903. Membre du KPD en 1920, il en devint le chef en 1925 et le représenta à deux élections présidentielles. Les nazis l’arrêtèrent le 3 mars 1933 et le fusillèrent le 18 août 1944.

43  Ancienne unité de mesure russe, la verste mesurait 1,06 km.

44  L’éditorial du 30 janvier 1933 de la Pravda, principal quoti- dien du PC soviétique, titrait : « Du nouveau sur l’aggravation de la situation en Allemagne». Trois plus petits articles sur le même sujet figuraient dans ce numéro : « Les pourparlers pour la formation d’un nouveau gouvernement», «La convocation du Reichstag est à nouveau repoussée», «La persécution du Parti communiste en Allemagne ».

45  Le 12e plénum se tint à Moscou du 27 août au 15 septembre 1932.

46  En 1903, Dmitri Manouïlski (1883-1959), alors étudiant à Saint-Pétersbourg, adhéra au Parti social-démocrate. Arrêté pour avoir participé à l’insurrection de Kronstadt de 1906, il s’échappa et dut s’exiler. En 1917, il rejoignit le Parti bolche- vique avec l’organisation Interdistricts de Trotsky. Membre durant trente ans du comité central stalinisé, chantre de la ligne stalinienne dans l’IC, il survécut à toutes les purges.

47  Dans le recueil des travaux du 12e plénum de l’IC, Thälmann fait état (discours du 14 septembre) de ce que Trotsky exige- rait, si Hitler arrivait au pouvoir: «[...] que l’URSS déclare la guerre à l’Allemagne ».

48  Membre de la direction du SPD en 1906, Hermann Müller (1876-1931), devenu ministre des Affaires étrangères en 1918, signa le traité de Versailles. Chancelier du Reich en 1920, puis en 1928, il démissionna en 1930, Hindenburg ayant refusé de lui accorder les mesures d’exception avec l’approbation du Reichstag.

49  Un des piliers du régime nazi, auquel il avait adhéré en 1922. Nommé ministre par Hitler en 1933, Hermann Göring créa la Gestapo. En 1935, il devint commandant en chef de la Luftwaffe, ministre de l’Aviation, responsable du Plan de quatre ans et ministre de l’Intérieur de Prusse.

50  Wilhelm Frick dirigeait la police de Munich en 1923. Il rejoi- gnit le NSDAP en 1925 et devint chef de son groupe parlemen- taire en 1928. Il fut ministre de l’Intérieur de 1933 à 1943.

51  Arthur Purcell fut un dirigeant de la fédération des syndicats britanniques (TUC). Lors de la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne, le Komintern se rangea derrière la bureau- cratie syndicale, avec des réformistes et opportunistes comme lui, au sein d’un Comité anglo-russe. L’Opposition de gauche dénonça ce qui allait faciliter le torpillage, par le TUC, de la plus grande grève qu’ait connue le pays. Le PC britannique ne s’en releva jamais.

52  D’après le nom du parti nationaliste chinois, le Guomindang fondé en 1912 par Sun Yat-sen. Alors que la révolution mon- tait en Chine, les chefs du Komintern, Staline et Boukharine, obligèrent le jeune PC chinois à se soumettre à ce parti, que Staline disait progressiste. Il nomma même son chef, Tchang Kaï-chek, président d’honneur du Komintern, peu avant qu’il noie la révolution dans le sang des prolétaires.

53  Référence à la révolution manquée en Allemagne du fait des hésitations de la direction du KPD et du Komintern.

54  La déclaration de guerre en août 1914 signa «la faillite de la IIe Internationale» (Lénine). Les dirigeants des partis socia- listes français, allemand, autrichien, belge, anglais renièrent leurs engagements de s’opposer à la guerre: ils se rallièrent à la défense de leur bourgeoisie et envoyèrent au massacre des millions de prolétaires et de paysans.

55  Créé en 1864 pour défendre les intérêts des grands industriels de la sidérurgie. Il contingentait la production, répartissait les marchés entre eux et se chargeait de contrer le mouvement ouvrier qui s’organisait.

56  Suite à d’importantes grèves dans les mines en URSS, on arrêta un groupe d’ingénieurs au printemps 1930. On les accusa d’avoir formé un «parti industriel» clandestin qui, projetant des sabotages dans l’industrie et les transports, cherchait à renverser le pouvoir soviétique. Cette invention de la police de Staline visait à briser tout esprit de contestation chez les ingénieurs et techniciens et à fournir un dérivatif au mécontentement ouvrier en rejetant sur ce « sabotage » l’inca- pacité du régime à améliorer la vie de la population.

57  D’anciens mencheviks, certains ayant des responsabilités dans l’économie, furent arrêtés pour prétendument avoir des liens avec le Parti menchevique à l’étranger (et des puissances impérialistes) et pratiquer le sabotage. Des 136 accusés du procès de mars 1931, seuls deux survécurent à des condamna- tions à répétition.

58  Quand Hindenburg nomma Hitler chancelier du Reich.

59  Pour éviter la guerre, il se disait prêt à céder des colonies à l’Allemagne. Antimilitariste, socialiste et membre de la CGT, Gustave Hervé (1871-1944) rallia l’Union sacrée en 1914, puis le fascisme en 1919.

60  Officier et député, André François-Poncet était entré au gouvernement en 1928. Par la suite, il fut notamment ambassadeur de France à Berlin de 1931 à 1938.

61  Alfred Rosenberg fut l’idéologue du Parti nazi, dont il avait été un des premiers membres, et ministre des Territoires occupés de l’Est durant la Deuxième Guerre mondiale.

62  Quotidien du soviet de Petrograd en 1917, il devint un des principaux journaux centraux de l’URSS de Staline.

63  Ce numéro consacre six articles à l’Allemagne, dont celui intitulé «Des gens qui ne sont pas intelligents», où est cité le Morning Post.

64  Il s’agit de l’Appel du comité exécutif de l’IC (il se trouve en Annexe 1). Trotsky y revient dans le n° 34 du Bulletin de l’Op- position avec un article du 14 mars 1933, « La tragédie du prolétariat allemand » (un extrait en est reproduit en Annexe 2).

65  Dans ce texte de Lénine, Plan de la brochure «Sur l’impôt alimentaire», daté de mars-avril 1921, on lit: «10-20 ans d’un juste équilibre avec la paysannerie, et la victoire est assurée au plan mondial (même avec le retard des révolutions prolé- tariennes, qui grandissent), autrement il y aura 20-40 ans de supplice avec la terreur des gardes-blancs. »

66  Batoum (Batoumi actuellement), un port de la mer Noire, est la capitale de l’Adjarie, une province de Géorgie limitrophe de la Turquie.

67  Dans les années 1920, l’URSS avait aidé la Turquie de Kemal à desserrer l’étreinte des puissances occidentales.

68  Membre du Parti social-démocrate dès 1898, Maxime Litvinov (1876-1951) rejoignit sa fraction bolchevique en 1903. Après 1917, il occupa principalement des fonctions d’ambassadeur et de commissaire aux Affaires étrangères. Il est écarté en 1939 et mis à la retraite en 1946. Staline avait projeté un moment de l’éliminer.

69  Imposé en mars 1918 par l’impérialisme allemand et ses alliés, le traité de Brest-Litovsk amputa l’État ouvrier d’une partie de ses territoires et ressources en Europe. La révolution, qui éclata sept mois plus tard en Allemagne, annula ce traité de brigandage (cf. L’Avènement du bolchevisme de Léon Trotsky).

70  Les ingénieurs, les techniciens, les cadres de l’industrie, etc.

71  Les mercantis et affairistes que la Nep avait fait surgir dans les villes.

72  La collectivisation stalinienne des terres fut lancée sans accord de la grande masse des paysans et sans mettre à leur disposi- tion les infrastructures et moyens indispensables. Conçue de façon bureaucratique et menée par la force, elle s’accompagna d’un nombre effroyable de morts et de déportations, dévasta les campagnes et rejeta la plupart des paysans du côté des ennemis du régime.

73  Cela renvoie à la déclaration de principe d’indépendance du 26 janvier et à la «marche du sel» de Gandhi. Il voulait que la population indienne cesse de payer l’impôt sur le sel aux Britanniques, alors que ces derniers ne l’autorisaient pas à récolter du sel elle-même. Le vice-roi des Indes, après avoir arrêté Gandhi, dut le libérer et supprimer cet impôt.

74  Environ 1000 hommes de la marine de guerre se mutinèrent les 15-16 septembre 1931 à Invergordon (Écosse), à cause de la réduction des soldes. Près de 12 000 protestataires sur 15 vais- seaux prirent part au mouvement dans la flotte de l’Atlantique.

75  En Russie, le terme tchinovnik (« fonctionnaire ») désigne la foule des chefs petits et grands de l’appareil d’État.

76  Mené les 8 et 9 juin 1923 avec le soutien d’éléments de l’armée, ce coup d’État de droite visait le Premier ministre Stamboliïski, qui avait obtenu 87 % des sièges aux législatives. Critiqué par le Komintern pour avoir condamné son régime, celui du Parti agrarien favorable aux petits propriétaires et aux ouvriers agricoles, le PC finit par s’allier à ce parti. L’insurrection qui s’ensuivit le 23 septembre échoua, ouvrant une période de répression intense.

77  Ce coup d’État eut lieu du 12 au 14 mai 1926. Durant la Première Guerre mondiale, Pilsudski avait formé une légion polonaise combattant avec l’armée austro-hongroise contre l’Empire russe. Après la défaite des puissances centrales, il devint le chef d’un État polonais protégé par la France et se lança dans une guerre contre les soviets en Ukraine. Ayant quitté le pouvoir fin 1922, il y revint en 1926 par un coup d’État fasciste.

78  Militant du Parti social-démocrate du royaume de Pologne et de Lituanie (celui de Rosa Luxemburg), Adolf Warski (1868-1937) participa à la révolution de 1905. Membre du PC polonais dès 1918, il fit partie de sa direction de 1923 à 1929. Opposé à la stalinisation du PCP, mais ayant dû se réfugier en URSS, il y fut « liquidé » en 1937 avec toute la vieille garde du PCP.

79  Warski estimait que le coup d’État de Pilsudski ouvrait la voie à « une dictature révolutionnaire et démocratique ». À son 4e congrès (mai-juin 1927), le PCP se divisa entre une aile gauche, qui y voyait un coup d’État fasciste, et une aile droite, avec Warski, qui y voyait finalement le début d’une dictature militaire tendant vers le fascisme.

80  Lancée le 11 décembre 1927, l’insurrection de Canton dura quatre jours, avant d’être écrasée. Staline tenait à cette action pour se targuer de son déclenchement au 15e congrès du PCR (b), qui se tenait en même temps, contre l’opposition léniniste qu’il voulait exclure. Pourchassé, le PC chinois se réfugia dans les campagnes. Il y trouva dans la paysannerie une base sociale pour un programme radical bourgeois de libération nationale n’ayant plus de communiste que le nom.

81  Le 4 août 1914, début de la guerre, marque la mort politique de la IIe Internationale ; l’Internationale communiste était dès lors appelée à prendre sa relève (elle fut fondée sur la lancée de la révolution d’Octobre, le 2 mars 1919).

82  Nous avons tenté d’établir une notice pour chaque militant cité. Certains ont une biographie bien documentée. Pour d’autres, on ne trouve rien ou alors des éléments pouvant prêter à confu- sion: par exemple, des personnes différentes figurent sous le même nom et les mêmes initiales dans les listes de victimes du stalinisme établies par l'ONG russe Memorial, que Poutine a fait interdire en 2021, pour sa dénonciation des répressions staliniennes et post-staliniennes, et les listes des sites russes spécialisés. Quand nous indiquons un décès en 1936, 1937 ou 1938, cela signifie une mort en prison, en camp lors d’une grève de la faim ou lors des fusillades en masse des trotskystes à Vorkouta et Magadan.

83  Dingelstedt Fiodor (1890-1938), fils d’un universitaire, devint bolchevique à 20 ans. Il participa à la révolution de Février comme membre du comité du parti de Petrograd, chargé de la propagande parmi les marins de Kronstadt. Un des pre- miers étudiants de l’Institut des professeurs rouges, il en sortit diplomé en économie. En 1922, il travailla au départe- ment organisation et formation du comité central du PC du Turkestan. En 1923, il fut l’un des dirigeants de l’Opposition à Petrograd. Exclu du PC(b) en 1927, déporté, puis incarcéré à Verkhnéouralsk, il y fut l’un des dirigeants de la grève de la faim de fin 1934. On l’envoya alors en camp aux îles Solovki. À l’été 1935, on l’exila à Alma-Ata, puis on le renvoya en camp avec sa femme et son fils. Il fut fusillé à Vorkouta.

84  Kariakine Mikhaïl (1906-1938).

85  Papirmeister Pavel ou Valentin (1904-1936). Partisan durant la guerre civile en Sibérie, exclu du PC(b) en 1927, envoyé à Verkhnéouralsk, il fut ensuite exilé en Sibérie où il travailla comme économiste. Arrêté en 1936, condamné à 5 ans de camp, exécuté.

86  Chinberg Boris (1906-1938).

87  Abramski Alexandre (1903-1937).

88  Portnoï Mikhaïl (1901-1937).

89  Bodrov Mikhaïl (1902-1937). Le n° 50 du Bulletin de l’Opposition (mai 1936) le décrivit en ces termes : « Ouvrier moscovite, soldat rouge (à 17 ans) durant la guerre civile, bolchevik-léni- niste. Début 1928, après la déportation de Trotsky à Alma-Ata (à 4 000 km de Moscou, au Kazakhstan), l’organisation envoya M. Bodrov à Alma-Ata pour assurer la liaison de Trotsky avec Moscou. Ayant pris l’apparence d’un paysan de l’Oural et laissé pousser sa barbe, M. Bodrov, muni de papiers correspondant à son nouvel état, se procura des chevaux et un chariot pour faire, comme cocher, l’aller-retour d’Alma-Ata à la gare la plus proche (la ville de Frounzé, distante de quelque 220 km). Dans des conditions très difficiles, le camarade Bodrov fit preuve d’une grande endurance, de sang-froid et d’habileté. S’acquittant magnifiquement de sa tâche sur un trajet extrêmement pénible, il assura la liaison de Trotsky avec Moscou. Le camarade Bodrov tint près d’un an avant qu’on l’arrête dans une autre « affaire », mais qu’on « découvre » aussi qu’il n’était pas cocher. Ayant passé bien des mois dans diverses prisons, M. Bodrov fut ensuite déporté. De nouveau arrêté, il fut incarcéré trois ans (1931-1934) à l’isolateur de Verkhnéouralsk. Il se trouve actuel- lement en déportation ou, selon d’autres témoignages, en che- min vers un camp. » Dans ce camp, il allait organiser une grève de la faim de 240 trotskystes et être fusillé à 35 ans.

90  Papirmeister Aron (1902-1937). Ancien partisan rouge en Sibérie, professeur d’école militaire. Exécuté.

91  Nevelson Man (1897-1937). Lycéen en 1917, il organise les JC puis la Garde rouge. Durant la guerre civile, commissaire politique d’un régiment, puis d’une division à 20 ans. Enfin responsable de la section politique d’une armée. Exclu du parti à son 15e congrès, arrêté en 1928, peu après la mort de sa femme Nina, la plus jeune fille de Trotsky, exilé à Tobolsk, puis incarcéré à Verkhnéouralsk – où il fut un des anima- teurs de l’organisation des trotskystes – avant d’être fusillé à Vorkouta.

92  Kessel Samuel (1904-1938).

93  Kouguélev Zinovi (1908-?). Étudiant de l’Institut Plekhanov, puis responsable du plan dans une usine de briques. Arrêté trois fois.

94  Zaraïkine Nicolaï (1906-1937).

95  Papirmeister Samuel (1908-1937). Partisan rouge en Sibérie, commissaire politique de division. Exécuté.

96  Èltsine Viktor (1900-1938). Bolchevik en 1917, il participa à la guerre civile sur le front est, présida le soviet régional de Viatsk, fut commissaire politique d’une division en 1919- 1920. Après la défaite de Koltchak, il dirigea les chemins de fer à Krivoï Rog (Ukraine), puis fut secrétaire du comité du parti. Ayant étudié à l’Académie communiste et à l’Institut des professeurs rouges (1921-1924), il collabora notamment à l’édition des œuvres de Trotsky, dont il fut le secrétaire per- sonnel. Arrêté en 1927 et exilé à Arkhangelsk, il se retrouva à Verkhnéouralsk, puis en camp. Il fut fusillé à Vorkouta. Son frère Mikhaïl aussi. Leur père, Boris, un «vieux bolchevik» dirigeant de l’Opposition, fut fusillé à Magadan.

97  Brontman Joseph (1902-1938).

98  Vachakidzé Iakim (1900-1938).

99  Topouria Vladimir (1901-1937).

100  Chpitalnik Piotr (1906-1937).

101  Сhvyrkhov Dmitri (1901-1937).