La classe ouvrière n’est pas préparée pour le moment à l’intensification de la guerre que mènera la bourgeoisie.

Les partis qui prétendent représenter ses intérêts - ils le prétendent d’ailleurs de moins en moins - l’ont trahie depuis longtemps. Ce n’est pas mieux pour les centrales syndicales. Et l’aggravation de la crise elle-même, la montée brutale du chômage à laquelle il faut s’attendre, ne poussent pas, dans un premier temps, à la combativité. Mais les coups reçus font aussi mûrir la combativité et la conscience. L’une comme l’autre peuvent changer brutalement. Que l’on se souvienne que, si la dépression des années trente a dans un premier temps surpris et désorienté les classes laborieuses, elle a par la suite conduit à des luttes de grande envergure.
La réaction de la classe ouvrière ne vint pas immédiatement. Les licenciements, l’accroissement brutal du chômage, les fermetures d’usines, les attaques de toutes sortes, dans un premier temps, surprirent et découragèrent les travailleurs.

Il fallut plusieurs années pour que la contre-offensive des travailleurs vienne. Mais elle vint, elle fut massive. Au milieu des années trente, elle ébranla des pays aussi divers que les États-Unis, l’Espagne ou la France. Des vagues de grèves eurent lieu également dans d’autres pays.

Pour l’Allemagne, la réaction vint trop tard. Par l’intermédiaire du régime hitlérien, la bourgeoisie parvint à briser la classe ouvrière de ce pays. Mais l’arrivée au pouvoir du nazisme, en faisant toucher du doigt la menace fasciste, contribua de manière décisive à la montée ouvrière en France ou en Espagne.

C’est en s’appuyant sur l’expérience de ces années de luttes ouvrières massives que Trotsky rédigea le Programme de transition destiné aux organisations de la Quatrième Internationale, en train de se constituer.

Au moment où le programme était publié, en 1938, la vague ouvrière était déjà en reflux, vaincue, détournée sur de fausses voies ou trahie. Alors que la Deuxième Guerre mondiale était déjà en marche, Trotsky le rédigea cependant, dans l’espoir que la guerre allait conduire, comme la guerre précédente, à des révoltes ouvrières.Le programme était un outil pour une organisation révolutionnaire décidée à s’adresser à une classe ouvrière qui était déjà en lutte en lui proposant une série d’objectifs susceptibles de l’amener à contester concrètement la mainmise de la bourgeoisie sur les entreprises et sur les banques. Un programme visant à transformer des situations pré-révolutionnaires en situations révolutionnaires.

L’histoire de la crise actuelle n’est pas encore écrite et personne ne peut prédire comment, où et quand se produiront les explosions ouvrières face à l’offensive inéluctablement aggravée de la bourgeoisie. Personne ne peut même avoir la certitude qu’il se produira des luttes suffisamment amples, profondes et durables pour ébranler les bourgeoisies et leurs États.Mais la raison d’être d’une organisation révolutionnaire est de se préparer à ces périodes-là, les seules où la lutte de classe peut bouleverser l’histoire. C’est pour une telle période que le Programme de transition a été écrit. C’est dans une telle situation, si elle se produit, qu’il gagnera sa signification.

L’évolution de la crise ramène au centre de l’actualité les objectifs partiels du Programme de transition : l’échelle mobile des salaires pour préserver le pouvoir d’achat, et la répartition du travail entre tous sans diminution des salaires pour se protéger contre le chômage qui monte.

Mais le passé a montré comment la bourgeoisie ou ses serviteurs politiques de gauche savent détourner ces deux revendications en les transformant, d’objectifs révolutionnaires d’un prolétariat agissant, en recettes de cuisine, pour le démobiliser. L’Italie a connu pendant longtemps un système d’indexation des salaires sur les prix. D’une certaine manière, la France aussi avec le smic. Quant à la répartition du travail entre tous, l’idée en a été pervertie pour devenir un argument pour le Parti Socialiste au moment des lois Aubry où la baisse de l’horaire de travail était censée créer de nouveaux emplois.

Aussi, ces revendications essentielles du Programme de transition ne gardent leur signification révolutionnaire que si elles sont liées à l’objectif du contrôle des travailleurs et de la population sur les banques et sur les entreprises. Le secret bancaire comme, plus généralement, le secret des affaires sont absolument indispensables aux capitalistes pour perpétrer leur pillage des biens de la société. La levée de ces secrets fait partie des objectifs prioritaires car elle constitue le premier pas vers le contrôle ouvrier de l’industrie.Les objectifs sont aussi liés aux moyens, à la démocratie ouvrière dans les luttes, à la création de comités de grève ou de comités d’usine susceptibles de devenir des états-majors reconnus par tous les travailleurs, y compris les plus exploités qui se tiennent en temps normal à l’écart des syndicats comme de la politique.

La crise bancaire attire l’attention de l’opinion publique ouvrière non seulement sur la nécessité du contrôle mais aussi sur la question de qui contrôle. Le constat est évident que le contrôle des banques entre elles comme le contrôle par l’État ne sont des contrôles que du point de vue de la classe possédante et conduisent à la catastrophe. Il faut arracher le contrôle des banques aux grands financiers. Il faut non seulement nationaliser toutes les banques, et les nationaliser sans rachat, mais aussi les unifier et soumettre la banque d’État unique au contrôle des travailleurs et de la population afin qu’elle fonctionne dans l’intérêt de la société.

Ces objectifs non seulement n’ont rien de recettes magiques, mais ils ne trouveront véritablement leur signification que lorsque les masses exploitées s’en empareront. Il n’est, bien sûr, pas au pouvoir d’une petite organisation de susciter la réaction des masses ouvrières. Mais c’est dans les périodes où la classe ouvrière agit, et agit vraiment, que les petits groupes révolutionnaires peuvent grandir et, s’ils sont à la hauteur, jouer un rôle dans les événements.

Ce qui s’est passé dans les années trente montre que ce n’est pas la classe ouvrière qui a été défaillante face aux nécessités de l’époque. Si les révoltes ouvrières, des États-Unis à l’Espagne, en passant par la France, n’ont pas réussi à empêcher la bourgeoisie de faire prévaloir ses solutions contre la crise - le New Deal aux États-Unis, le fascisme en Allemagne et l’étatisme en France et finalement, la guerre mondiale -, c’est en raison de la politique menée par les organisations auxquelles la classe ouvrière faisait alors confiance.

Malgré son coût pour la société, l’organisation économique capitaliste ne disparaîtra pas toute seule. Elle ne disparaîtra que si une force sociale est capable de la faire disparaître.

Nous gardons la conviction que le prolétariat demeure la seule classe qui est porteuse de cette transformation sociale. L’actualité de la crise et le formidable gâchis de travail humain qu’elle révèle, en soulignent la nécessité. Nous ne savons pas plus aujourd’hui qu’il y a vingt ou cinquante ans par quelle voie, par quel cheminement, à travers quelles expériences collectives, le prolétariat accèdera à la conscience de son rôle historique en se donnant pour objectif le renversement révolutionnaire du règne de la bourgeoisie, la suppression de la propriété privée des moyens de production et la réorganisation de la production en fonction des besoins sous le contrôle démocratique de la collectivité.

Ce que nous savons, c’est que cette prise de conscience nécessite un parti ouvrier révolutionnaire. « La signification du programme, c’est le sens du Parti », disait Trotsky. Le parti ouvrier révolutionnaire a pour tâche de défendre et de propager ces objectifs révolutionnaires en toutes circonstances. Il doit surtout être capable par sa cohésion, par sa compréhension commune des événements, lorsque le prolétariat se mobilise de le conduire à leur réalisation.

Contribuer à cela dans la mesure de nos forces est notre raison d’être fondamentale.

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